Tunis va déployer une surveillance électronique sur sa frontière lybienne
Le 7 mars 2016, la ville tunisienne de Ben Gardane, située à proximité de la frontière entre la Tunisie et la Lybie, a été la cible d’attaques terroristes ayant fait 55 morts selon un bilan définitif. Les victimes sont essentiellement des djihadistes, mais également des membres des forces de l’ordre ainsi que des civils. Survenant seulement cinq jours après des affrontements ayant opposé des militaires à des terroristes à Saidia, à sept kilomètres de Ben Gardane, cet événement a conduit le gouvernement tunisien à exprimer son intention de renforcer son dispositif de sécurité à la frontière avec la Lybie.
Voisine de la Lybie, la Tunisie ne cesse de s’inquiéter des conséquences auxquelles l’instabilité politique qui y règne et la guerre civile qui y fait rage l’exposent. A cela s’ajoute, donc, la menace des djihadistes, notamment de ceux liés à l’organisation Daesh ou »Etat islamique en Irak et au Levant », plus communément appelée »Etat islamique » (EI). Daesh a pour prédécesseur l »’Etat islamique d’Irak » né en 2006 et nourrit des ambitions transnationales, notamment en recrutant ses membres dans de nombreux Etats : des Tunisiens eux-mêmes viennent d’ailleurs grossir les rangs de l’EI. Le 2 mars, un incident avait déjà causé la mort de cinq djiahistes dans une commune voisine de Ben Gardane. Les attaques du 7 mars à Ben Gardane furent toutefois particulièrement spectaculaires : une soixantaine de membres de l’EI ont lancé des assauts simultanés contre une caserne de l’armée, un poste de police et le quartier général de la garde nationale. Ces dernières années, Ben Gardane, ville d’environ soixante mille habitants située à vingt-cinq kilomètres de la frontière, est devenue une plaque tournante pour divers commerces de contrebande (d’armes, entre autres) et de nombreux réseaux terroristes y sont à l’oeuvre. Des Tunisiens transitent même par Ben Gardane pour se rendre dans des camps d’entraînement djihadistes en Libye.
Il est donc peu dire que la situation est houleuse dans la région et si les attaques du 7 mars 2016 ont aggravé les tensions au sujet de la frontière entre la Tunisie et la Lybie, le problème est loin d’être nouveau. Le ministre de la Défense tunisien, Fahrat Horchani, avait d’ailleurs déclaré jeudi 3 mars, soit quatre jours avant les attaques de Ben Gardane, que «la stratégie de défense des frontières a été établie en fonction du pire scénario. C’est-à-dire une intervention étrangère massive, un chaos total en Lybie et un afflux important de réfugiés sur nos frontières». En effet, le projet du gouvernement tunisien de renforcer la sécurité à sa frontière avec la Lybie s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la guerre civile que traverse la Lybie. Cette guerre civile, parfois appelée »deuxième guerre civile lybienne » en référence à la première de 2011 ayant mené au renversement du régime de Mouammar Kadhafi, a débuté en mai 2014 et met aux prises gouvernements rivaux et groupes djihadistes. En effet, la situation chaotique qui règne en Libye a favorisé l’implantation de groupes djiahistes, à commencer par Daesh. La Tunisie avait également été victime d’attaques de la part de terroristes liés à la Libye, le 18 mars 2015 à Tunis au musée du Bardo et le 28 juin 2015 à la station balnéaire d’El Kantaoui, affectant duremement le secteur du tourisme, si important pour l’économie du pays. Les terroristes ont beau avoir subi de lourdes pertes ce jeudi 7 mars lors des affrontements avec les forces de sécurité tunisiennes, le gouvernement a fait savoir la détermination avec laquelle il compte réagir.
Préoccupation majeure du gouvernement tunisien, d’aucuns disent même que la frontière avec la Lybie est le talon d’Achille du pays. Très récemment a été terminée la construction d’un »mur » (plus exactement une tranchée d’eau surmontée d’un mur de sable) de près de deux cents kilomètres. La longueur totale de la frontière est de près de 460 kilomètres. Mais le gouvernement veut aller plus loin encore, en dotant ce mur d’un système de surveillance électronique. Le gouvernement a fait appel aux Etats-Unis et à l’Allemagne pour mettre en place ce système : «Des accords et des discussions sont en cours avec des pays frères et amis pour parachever la mise en place de ce système, aux niveaux maritime, terrestre et aérien afin de contrôler les régions où la menace terroriste est élevée», a déclaré dimanche 5 mars Fahrat Horchani. Aucun contrat ne sera toutefois passé avec des sociétés de sécurité privées et ce, malgré la tendance mondiale à l’expansion des prestataires de sécurité privée. Concrètement, ce système de surveillance électronique prend la forme de radars, de caméras, de drones et de tours de contrôle. Il est en effet difficile, à l’heure actuelle, dans la plupart des domaines relatifs à la sécurité, d’envisager une mission de surveillance sans caméras même si le rôle que doivent ou peuvent jouer les nouvelles technologies de l’information et de la communication est encore très problématique. L’ambition du gouvernement : mettre sur pied une surveillance accrue de toute la frontière, monnayant la somme de 150 millions de dinars (presque 100 millions de dollars canadiens) et avec l’aide de militaires étrangers présents sur le sol tunisien. Il est en outre intéressant de noter que le gouvernement tunisien veut également s’appuyer sur des informateurs civils résidant près de la frontière, notamment des bergers.
Le gouvernement tunisien entend par là renforcer encore son dispositif de surveillance de la frontière en parvenant à prévenir les attaques. Des organisations terroristes comme Daesh, si elles incitent à l’émergence de »loups solitaires », fonctionnent sur le mode de la criminalité organisée, ce qui rend saillante l’importance du renseignement de sécurité pour déjouer les projets d’attentat.
Ce renforcement de la frontière entre la Tunisie et la Libye est l’objet de polémiques. Le gouvernement affirme ne pas ériger un quelconque mur entre les deux peuples, mais simplement adopter les mesures qui s’imposent face au chaos qui règne en Libye et qui menace de propager son onde de choc dans les pays voisins. La Tunisie est d’ailleurs actuellement en état d’urgence à la suite des nombreuses attaques terroristes dont elle est victime depuis plusieurs mois. Cet état d’urgence, instauré le 24 novembre 2015 par le président de la République Béji Caïd Essebsi après un attentat perpétré contre la garde présidentielle à Tunis, a été prolongé le 22 février 2016 pour une durée d’un mois.