Trudeau/728 : coupable de voies de fait
Au cours du printemps 2012, le Québec a connu une crise étudiante très mouvementée surnommée le Printemps Érable. La population majoritairement formée d’étudiants s’est mobilisée pour dénoncer la hausse des frais de scolarité imposée par le gouvernement Charest de l’époque. Des étudiants de partout à travers le Québec ont été en grève et ont manifesté. Lors de la manifestation du 20 mai 2012, qui avait lieu à Montréal, le Québec a aussi connu Stéfanie Trudeau mieux connue sous le nom de matricule 728. La policière du Service policier de la ville de Montréal (ci-après SPVM), a aspergé deux citoyens au poivre de Cayenne. L’interaction, qui a été filmée, a fait le tour des médias. Bien sûr l’affaire ne s’est pas arrêtée là et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (ci-après DPCP) a analysé la preuve pour évaluer si des poursuites criminelles pouvaient être portées contre Mme Trudeau. Considérant que la preuve n’était pas suffisante, le DPCP n’a pas porté d’accusation contre la policière.
Cinq mois plus tard, soit le 2 octobre 2012, la matricule 728 fait encore les manchettes pour une arrestation musclée qu’elle a effectuée à Montréal alors qu’elle patrouillait avec un de ses collègues. La scène a encore été filmée et a fait l’objet d’un reportage de Radio-Canada. Cette fois-ci, le DPCP a décidé de porter des accusations de voies de fait contre Stéfanie Trudeau.
Avant même que des accusations criminelles soient formellement intentées envers la policière, le SPVM a réagi aux événements. Le directeur du SPVM, Marc Parent, a dénoncé les actes de Mme Trudeau comme étant inadmissibles et ne représentant pas les valeurs du service policier. La sortie publique du SPVM était nécessaire pour que le public puisse garder confiance envers le corps policier, surtout aux lendemains de la crise étudiante qui a laissé la population amère envers l’État.
Bien que le droit d’utiliser la force soit un élément central qui se retrouve dans la définition de la police comme le professeur Carl Klockars le soutient dans son livre The Idea of The Police [1], il s’agit aussi d’un droit encadré par la législation. En effet, l’article 25 du Code criminel dit, entre autres, qu’un policier qui agit dans l’exercice de ses fonctions et qui applique la loi, peut avoir recours à la force nécessaire pour y parvenir. L’examen de la situation est de mise pour savoir si un policier a utilisé la force nécessaire, comme l’indique la Cour Suprême dans l’affaire Nasoguluak. Dans l’affaire Trudeau, le DPCP plaidait que l’arrestation du 12 octobre était illégale pour faire en sorte que l’article 25 ne puisse pas s’appliquer. Advenant un refus de cet argument, le DPCP soutenait être en mesure de prouver l’emploi de la force n’était pas nécessaire et que la matricule 728 est allée au-delà de ce que la loi lui permet de faire en tant qu’agent de la paix.
Suite à l’examen des faits, le tribunal a donné son verdict le 25 février dernier; Stéfanie Trudeau a été reconnue coupable de voies de fait. Dans un jugement de 42 pages, le tribunal conclut que l’arrestation était illégale parce que Mme Trudeau n’avait pas de motifs raisonnables pour effectuer cette arrestation. Le juge Bédard va plus loin que cela et conclut que la manœuvre utilisée par la matricule 728 n’était pas nécessaire. Donc, même si le tribunal avait conclu que l’arrestation était légale, cela aurait été jugé comme étant des voies fait considérant la nature des gestes.
Des situations comme celle de la matricule 728 sont des cas assez rares selon le professeur Rémi Boivin. De manière générale, il est rare que les policiers utilisent la force et il est encore plus rare que cela dégénère. Lorsque cela dépasse le niveau de force acceptée, il va de soi que les tribunaux interviennent. En effet que ce soit dans un cas d’utilisation de la force ou dans un cas de fouille et perquisition, lorsque les policiers d’agissent de la sorte, ils entrent automatiquement en conflit avec les droits et liberté des citoyens canadiens. C’est pour cela que le droit a prévu des règles auxquelles les policiers doivent se soumettre lorsqu’ils exercent leurs différents pouvoirs et les tribunaux se doivent d’intervenir lorsque les règles ne sont pas respectées. Par contre, lorsque les tribunaux interviennent, ils se doivent d’être conscients de la réalité des policiers. En effet, lorsqu’un policier est confronté à une situation, il a peu de temps pour réagir et prendre la bonne décision. Les policiers sont formés pour faire face à ce genre de situation, mais ce qui se passe sur le terrain et dans leurs têtes peut être plus complexe qu’une situation de formation.
Le professeur en criminologie de l’université de Montréal s’est aussi intéressé sur les circonstances entourant l’utilisation de la force de la part des policiers et il indique que cela dépend des années d’expérience du policier, la présence d’une arme et le niveau de dangerosité d’un sujet envers lui-même. Considérant que les deux derniers éléments de cette analyse étaient absents lors de l’intervention de Mme Trudeau, il était prévisible que le juge de l’affaire conclut à des voies de fait.
[1] Klockars, Carl B. (1985b), The Idea of Police, Beverly Hills, Sage Publications.