Le Bureau des enquêtes indépendantes pas si indépendant
En février 2010, la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain a émis un rapport dans lequel elle a fait plusieurs recommandations concernant l’importance d’avoir une procédure d’enquête formelle à appliquer lors d’incidents impliquant des policiers. D’entrée de jeu, elle souligne qu’il est primordial de maintenir la confiance du public et d’avoir une apparence de justice lorsqu’on enquête sur ce genre d’événement. Ensuite, elle décrit ses observations et ses recommandations. Elle fait l’état de certaines lacunes comme un manque de transparence et l’absence d’indépendance lors de ce genre d’enquêtes. En lien avec ses observations, elle recommande entre autres la création d’un bureau d’enquêtes spéciales.
En réponse à ce rapport, deux ans plus tard, le ministre de la sécurité publique de l’époque, Stéphane Bergeron, dépose le projet de loi no 12 qui vient créer le Bureau d’enquête indépendante (ci-après BEI). La Loi modifiant la Loi sur la police concernant les enquêtes indépendantes est finalement entrée en vigueur en 2013. Comme le prévoit la loi, c’est dans un règlement que la procédure pour la sélection et la formation des enquêteurs fut précisée. En 2014, un projet de règlement a été proposé, mais il a été critiqué par plusieurs. En effet, quelques inquiétudes et lacunes sont soulevées par des organismes qui travaillent pour la défense des droits des citoyens et par l’association des policières et policiers provinciaux du Québec. On peut lire dans un article du Journal Métro les points soulevés par ces organismes. Ils dénoncent entre autres le manque d’indépendance, la restriction des mandats soumis au BEI et le fait que les droits et libertés dont bénéficient les membres des corps policiers sont bafoués. Pour sa part, la protectrice du citoyen mentionne quelques problèmes dans une lettre adressée au ministre de la sécurité publique. Ceux-ci touchent surtout des problèmes d’interprétation que peut causé le texte en question.
Bref, malgré que la création du BEI ait été relativement bien reçue, elle emporte un lot de complications. En particulier, plusieurs ont fait valoir qu’il faudrait éviter que son entrée en vigueur créé une crainte du côté des policiers à exercer leur profession. Trouver l’équilibre entre les deux n’est pas facile comme nous pouvons le constater à l’étape préalable de rédaction des textes qui encadrera le BEI.
En date d’aujourd’hui, alors que nous sommes à l’étape de nomination des enquêteurs, les choses ne se sont pas améliorées. En effet, la directrice du BEI, Madelaine Giauque, est en désaccord avec les décisions du ministre de la Sécurité publique par intérim, Pierre Moreau, quant à la procédure de nomination entreprise. Comme nous pouvons lire dans un article du journal Le Devoir, des candidatures ont été rejetées par M. Moreau et celui-ci veut que le BEI propose des gens du milieu policier. Les candidats rejetés étaient des civils issus du milieu journalistique, juridique et criminologique. En plus de dénoncer un manque de transparence et d’indépendance que suscite le fait d’avoir des policiers à titre d’enquêteurs, Mme Giauque dénonce aussi l’ingérence du ministre quant à la sélection des enquêteurs. Elle appuie sa position par le fait que M. Moreau revient sur la décision prise par la ministre de la sécurité publique en fonction en septembre 2015, Lise Thériault. Cette dernière avait déjà accepté les candidatures retenues par le BEI. Malgré la difficulté qu’implique la nomination d’enquêteurs, elle se doit d’être faite en respectant l’essence même du BEI, c’est-à-dire l’indépendance de l’organisme. Bien que le BEI relève du ministère de la Sécurité publique, il faut qu’il y ait un esprit de collaboration et de travail d’équipe, ce qui ne semble pas être le cas pour l’instant.
Depuis le rapport de 2010, les objectifs qui sont au cœur du projet se perdent un peu de vue et Mme Giauque a raison de s’objecter aux décisions de M. Moreau. Pour démontrer ce point, il suffit tout simplement de remonter dans le temps, au moment du dépôt du projet de loi de M. Bergeron. À cette époque, le ministre précisait au journal Le Devoir que le but du BEI, plus précisément en lien avec l’équipe d’enquêteurs, était d’avoir un équilibre entre anciens policiers et civils. Le fait d’avoir une équipe d’enquêteurs hybrides permet de joindre deux éléments important, c’est-à-dire l’expertise et l’indépendance. En comparant cette prise de position aux événements récents, M. Moreau semble s’éloigner des volontés de M. Bergeron, volontés qui étaient partagées par la majorité des élus de l’époque. L’apparence d’impartialité à laquelle Mme Saint-Germain faisait référence dans son rapport doit être présente du début à la fin du processus, c’est-à-dire dès la nomination des enquêteurs. L’apparence d’impartialité doit être perçue par la population. En prenant par exemple l’affaire Villanueva survenue à Montréal et l’affaire Blouin survenue à Québec, les citoyens exigeaient qu’une enquête transparente soit faite.
Pour l’instant, il n’y a aucun civil au poste d’enquêteur et M. Moreau, avant de laisser sa place au nouveau ministre Coiteux, avait demandé à ce que le BEI recommande d’autres policiers. Pourtant les intentions à la base de cette loi sont claires; le BEI doit être composé de policiers et de civils. Sinon, à quoi servirait la création du BEI, si c’est pour revenir à l’ancienne méthode? L’opinion de Jocelyn Caron, collaborateur du Devoir, à ce sujet est intéressante. Il parle de « sabotage » du BEI et de « symbiose du corps policier et du parti libéral au détriment de l’intérêt général ». C’est l’impression que le public peut avoir à la lumière de ces faits.
Pendant ce temps, des histoires comme celle survenue dans la ville de Val d’Or font surface et la population n’est pas encore assurée qu’un jour il y aura des enquêtes transparentes et indépendantes sur ce genre d’événement. Cela fait en sorte que la confiance du public envers les policiers diminue pendant que la crainte augmente.
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