La France et la Belgique renforcent leur coopération antiterroriste

Les attentats parisiens du 13 novembre 2015 n’en finissent plus de bouleverser la lutte contre le terrorisme menée par la France et de nourrir de nombreuses polémiques, sur ses mécanismes et méthodes. Est notamment pris pour cible l’état d’urgence décrété le 14 novembre 2015 au lendemain des attentats, prolongé jusqu’au 26 février 2016 et dont le président de la République française François Hollande a déclaré à la presse, le 20 janvier 2016, qu’une prolongation supplémentaire est «tout à fait probable». L’état d’urgence et son éventuelle prolongation sont approuvés par une partie de la population française (et étrangère) et il renforce les pouvoirs de police, notamment en permettant à celle-ci d’effectuer des perquisitions dans des conditions assouplies ou encore d’interdire la tenue de rassemblements sur la voie publique. Il est en revanche vivement critiqué par une autre partie de la population, des manifestations ayant d’ailleurs eu lieu dans des dizaines de villes françaises le 30 janvier 2016, et par des associations de défense des droits de l’Homme qui protestent contre des atteintes portées à certaines libertés individuelles. Certains ont même parlé d’un «Patriot Act à la française».

C’est dans ce contexte tendu, marqué par des gouvernements sur le qui-vive et par les vives inquiétudes de populations divisées quant aux stratégies qu’il convient d’adopter, que s’est tenue le 1er février 2016 une conférence de presse à Bruxelles ayant réuni, entres autres, Manuel Valls et Charles Michel, respectivement Premiers ministres de la France et de la Belgique. La teneur de cette conférence de presse peut se résumer en trois mots : coopération antiterroriste renforcée. Les deux ministres sont parvenus au constat que si les terroristes parviennent à franchir la frontière séparant la Belgique et la France, tel n’est pas le cas des renseignements sur le terrorisme. En effet, pas moins de quatre des neuf auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris étaient belges, ce qui a conduit les polices françaises et belges à identifier une filière djihadiste franco-belge (la «filière de Molenbeek»). Accompagnés de leur ministre de la Défense et de représentants militaires, policiers et judiciaires de leur pays, Manuel Valls et Charles Michel ont affirmé de concert vouloir mener une lutte plus efficace contre le terrorisme et renforcer la sécurité de leurs citoyens.

Les deux Premiers ministres sont allés plus loin encore en appelant, au-delà de la coopération franco-belge, à la création de nouveaux dispositifs à l’échelle de l’Union européenne pour lutter conjointement contre le terrorisme. Parmi ces dispositifs, loin de faire l’unanimité à l’heure actuelle, Manuel Valls a, au cours de la conférence de presse du 1er février 2016, exprimé sa volonté que soit mis en place un «pacte européen de sécurité», ou «agence européenne de renseignement», création encouragée par Charles Michel depuis une conférence de presse le 30 novembre 2015, à Bruxelles encore. Au cours de celle-ci, il a déploré l’absence de renseignement harmonisé à l’échelle européenne et déclaré que «si les services de renseignement fonctionnaient sans faille dans l’échange d’informations, il n’y aurait plus jamais aucun attentat dans le monde» et que «nous devons mettre en place le plus vite possible une agence européenne du renseignement, une CIA européenne». Cette idée est notamment soutenue par Dimitris Avramopulos, le Commissaire européen chargé des Affaires intérieures. De très nombreux pays disposent d’une agence nationale du renseignement chargée entre autres de la lutte contre le terrorisme (exemple du SCRS, le Service canadien de renseignement de sécurité), mais la création d’une agence de renseignement à l’échelle de tout un continent ou presque constitue une idée plus originale et plus ambitieuse (plus efficace ou non ?).

Surtout, c’est sur la question des frontières que réfléchissent Manuel Valls et Charles Michel et, au-delà, une vaste partie des gouvernements européens, pour lesquels la libre-circulation des hommes telle que pensée par l’espace Schengen n’est plus souhaitable dans le contexte actuel. L’espace Schengen, créé en 1995 à la suite de la signature de l’Accord de Schengen en 1985 et de la Convention de Schengen en 1990, compte aujourd’hui vingt-six pays et concerne environ 420 millions de citoyens. Le principe de l’espace Schengen s’agissant de la libre-circulation des personnes est relativement simple : les postes frontaliers et les contrôles de sécurité associés aux frontières entre les Etats membres ont été supprimés pour tout individu voulant se rendre d’un pays à un autre. Les dispositions de l’espace Schengen prévoient toutefois que puisse être rétabli par un Etat membre un contrôle à ses frontières avec un autre Etat membre en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure de son territoire, pour une durée initiale limitée à trente jours mais prolongeable indéfiniment, sur la base de l’article 2.2 de la Convention de Schengen. La France a d’ailleurs procédé à un rétablissement des contrôles aux frontières le 14 novembre 2015 aux points de passage routiers, ferroviaires, maritimes et aéroportuaires. Or, l’espace Schengen est aujourd’hui remis en question par des gouvernements européens en ce qu’il permet à tout individu de circuler librement entre les Etats qui en sont membres dès lors qu’il a réussi à poser le pied à l’intérieur de cet espace. Dans le contexte de la crise migratoire en Méditerranée et de la peur ambiante de nouvelles attaques terroristes, la Commission européenne elle-même, présidée par Jean-Claude Juncker, affirme vouloir repenser les frontières de l’UE, notamment en instaurant «de manière systématique et obligatoire le contrôle aux frontières extérieures». Enfin, la France et la Belgique ont fait savoir leur soutien à la création d’une «agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes».

L’Europe n’est d’ailleurs pas la seule région du monde à repenser le franchissement de ses frontières. En effet, le 21 janvier 2016, sont entrées en vigueur aux Etats-Unis de nouvelles règles relatives à l’octroi de visas. Hormis quelques exceptions (travailleurs humanitaires, journalistes…), les ressortissants de trente-huit pays, dont trente européens, doivent désormais solliciter l’obtention d’un visa auprès d’un consulat états-unien pour prendre un vol à destination des Etats-Unis, que ce soit pour affaires ou pour du tourisme. Entre réactions positives et critiques acerbes, ces nouvelles règles ont suscité un vif débat des deux côtés de l’Atlantique. Quant au Canada, après les attentats du 11 novembre 2001, il avait créé l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (l’ACSTA) pour assurer une meilleure coordination des services de sécurité des aéroports canadiens.

La lutte contre le terrorisme passera-t-elle désormais par l’érection de frontières supplémentaires et par le repli sur soi, national ou communautaire (européen) ? Alors que le cyber-terrorisme se développe et que le terrorisme s’organise de plus en plus sous la forme de réseaux transnationaux, la menace terroriste doit-elle faire l’objet d’une concertation internationale ou les différences et divergences nationales (de ressources, d’objectifs, de cultures…) sont-elles trop importantes ? En effet, si une coopération mondiale des forces de l’ordre semble a priori souhaitable, il convient de ne pas méconnaître les moyens techniques et humains qui peuvent être très inégaux, fait qui a été mis en lumière à la suite des attentats du 15 janvier 2016 à Ouagadougou au Burkina Faso, au cours desquels six Québécois ont perdu la vie. Ces nouvelles configurations de l’environnement sécuritaire des citoyens ne sont pas non plus sans susciter des interrogations sur l’étendue du contrôle et des pouvoirs des Etats.