Chasse aux pédophiles et arrestation massive
Après une enquête ayant duré plus de deux ans, la Sûreté du Québec (SQ) a procédé le 27 janvier dernier à l’arrestation d’une dizaine de personnes soupçonnées d’avoir exploité sexuellement des enfants. (La SQ a mis la liste des personnes arrêtées disponible.) Cette opération policière d’envergure a mis à l’œuvre près de 150 policiers et différents services policiers municipaux y ont participé, dont ceux de Montréal, Québec et Lévis. L’enquête a été réalisée par l’Équipe d’enquêtes sur l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet, branche du Service des projets d’enquêtes spécialisés de la Direction des enquêtes sur les crimes majeurs de la SQ. Notons que cette équipe regroupe des enquêteurs de la SQ et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Au Québec, seule la SQ est autorisée à diriger une telle équipe d’enquêteurs. En effet, chaque service de police se doit d’orienter ses actions selon le niveau de service qui lui est accordé. Le Règlement sur les services policiers stipule que la SQ est l’unique entité de «niveau 6» où la section d’enquête à juridiction pour la « Coordination des enquêtes de meurtres et d’agressions commis par des prédateurs » et la « Cybersurveillance ».
La participation de divers services de police municipaux lors des perquisitions fut possible également grâce à ce découpage des services. La recherche des auteurs de crimes et d’infractions fait partie d’ailleurs intégrante de la mission de toutes les organisations policières québécoises. (Notons cependant que les organisations policières de niveaux 1 et 2 ne peuvent pas enquêter en matière de pornographie juvénile sauf lorsqu’il y a flagrant délit.)
La présence de la GRC dans cette équipe s’explique également par sa juridiction. En effet, la police fédérale doit agir sur les crimes qui dépassent les juridictions provinciales, ce qui est le cas dans les cas de cybercriminalité. (L’organisme Cyberaide.ca (Centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet) mentionné en fin d’article est d’ailleurs une organisation pancanadienne, gérée par le Centre canadien de protection de l’enfance, qui a pour mandat de protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle sur Internet.)
Mis à part ces informations de nature plutôt factuelle, l’article mérite d’être réfléchi sous un autre angle. Au Canada, malgré l’idéal d’autonomie des services de police, plusieurs acteurs viennent influencer la mission policière, en particulier les gouvernements. Sur son site Internet, le ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP) nous informe que «Si les corps de police du Québec sont les premiers responsables de prévenir et de réprimer le crime, certains phénomènes criminels constituent, tant par leur nature, leur degré d’organisation, leur portée ou leurs impacts, une source de préoccupation pour l’État québécois». La délinquance sexuelle fait partie des phénomènes identifiés comme tel, avec dans le cas présent les infractions d’exploitation sexuelle et de pornographie juvénile. Avec une telle déclaration, la création d’une stratégie provinciale en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants au sein de la SQ en 2012 se comprend autrement, plus facilement. Les gouvernements peuvent établir certaines politiques ou missions prioritaires aux organisations policières. (Le MSP a d’ailleurs pour mandat de contribuer à l’amélioration des méthodes de détection et de répression de la criminalité et à coordonner des initiatives, des programmes pour lutter contre divers phénomènes criminels au Québec.)
Un autre acteur d’influence est le citoyen. En effet, l’article nous dit que l’enquête a débuté à la suite d’informations obtenues du public. Sans en préciser la nature ni le nombre, on peut penser, à la lumière du résultat de l’enquête, que les informations étaient assez de qualité pour mobiliser une intervention policière et donc influencer les actions de la police. Cette participation active du public dans cette affaire est aussi intéressante si l’on fait le parallèle avec la notion de contrôle social. Pour un sujet aussi sensible que l’exploitation sexuelle des enfants, il va sans dire que la plupart des gens ont une opinion tranchée sur le sujet et désapprouvent totalement ces comportements. Les gens trouvés coupables de tels crimes sont souvent marginalisés par la société, « personne n’en veut dans sa cour ». On parle ici de contrôle social informel. Comme ce type de contrôle n’a plus autant de poids qu’autrefois, on assiste à un déplacement vers le contrôle social formel, ici la police, pour sanctionner ce comportement.
Le citoyen peut également être appelé à influencer, à s’imbriquer dans les actions policières si l’on suit la logique du mandat des organisations policières tel que présenté dans la Loi sur la police. En effet, il est dit à l’article 48 que les corps de police doivent coopérer avec la communauté pour réaliser leur mission et le préambule de l’annexe G mentionne qu’ils doivent intégrer l’approche de police communautaire à leurs pratiques. Le rapprochement entre les services policiers et les citoyens fait partie des principes de bases de cette approche. Le fait que le public soit invité à communiquer avec les autorités compétentes pour signaler toute autre information pertinente en est un bon exemple. Dans sa publication Intersection de février 2003, le MSP affirmait sans détour que la police et la communauté ont besoin l’un de l’autre.