Policing et maladie mentale: les policiers du futur seront des hybrides
Selon un article de pierre Marceau diffusé par Radio-Canada, l’École nationale de police du Québec est en pleine mutation. En effet, les policiers sont dorénavant formés pour faire face à des situations particulièrement stressantes. Ces situations sont variables, mais ont un point en commun : la santé mentale. Des simulations adaptées aux « nouvelles réalités » mettent en scène des personnes suicidaires, schizophrènes ou simplement des jeunes qui font du tapage dans un parc. Cette formation vise à améliorer la relation avec le citoyen en apprenant aux futurs policiers à communiquer pour créer une désescalade. Le journaliste insiste sur le fait que la possibilité grandissante de se faire filmer par à peu près n’importe quel individu désireux de partager sa vidéo sur les réseaux sociaux presse les policiers à adopter un comportement irréprochable. Semble-t-il que le public aurait des exigences de plus en plus grandes en matière d’éthique. Pour toutes ces raisons, cette formation visant à fournir aux policiers une plus grande résistance au stress ainsi que de meilleurs techniques pour désamorcer les crises est actuellement donnée aux futurs policiers qui en sont d’ailleurs ravis. Bientôt, les policiers déjà en fonction auront aussi la possibilité de faire cette formation. L’article explique que le phénomène de la détresse psychologique est grandissant et que c’est pour répondre à cette « nouvelle réalité » que les policiers doivent raffiner leurs techniques.
Si les réseaux sociaux forcent la main aux policiers pour adopter un comportement moral et exemplaire, que deviendront nos policiers suite à ce genre de formation? À la lumière de cet article peut-on prévoir que cette sorte de mutation serait en mesure de rassurer les citoyens?
Détour déontologique
On sait déjà que le code de déontologie exige des policiers l’adoption d’un comportement éthique en toutes circonstances. Quoique selon ce même code l’erreur soit humaine; les policiers doivent être en mesure de faire face à des situations stressantes avec un certain flegme. Si cette nouvelle formation vise à donner des outils aux policiers afin d’éviter une escalade, il est effectivement intéressant d’apprendre que les nouveaux policiers seront formés pour répondre à leur code de déontologie, qui lui n’est pas nouveau. En 1995, l’article 5 du code de déontologie était expliqué par la cour de la façon suivante : « Un policier en exercice doit être en mesure de se comporter de manière à pouvoir se contrôler quelle que soit la situation se présentant devant lui. Les policiers doivent faire montre de toute la psychologie nécessaire afin d’éviter la gradation du conflit». Selon cette explication, les policiers en service devraient logiquement avoir déjà suivi ce genre de formations.
Flou statistique?
Le journaliste rapporte aussi que les cas de santé mentale se multiplient mais l’absence de statistiques dans l’article laisse perplexe. Il est donc pertinent ici de dévoiler quelques chiffres : Selon statistique Canada, en 2012, un contact avec la police sur cinq impliquait une personne ayant une maladie mentale. En 2015, une personne sur cinq serait atteinte d’une maladie mentale au cours de sa vie. Or, ces études excluent les sans-abris qui sont pourtant les grands vulnérables en ce qui a trait aux maladies mentales et aussi les plus sujets aux contacts avec la police. Bref, ce flou statistique ne permet pas de savoir s’il y a une réelle augmentation des cas impliquant une personne aux prises avec une maladie mentale. Quant à elle, la sureté du Québec affirme observer une croissance constante de ce type de cas. Est-ce parce que les citoyens signalent davantage ce type de situations au service de police ou est-ce parce qu’il y a une augmentation substantielle bien réelle? Quoi qu’il en soit, c’est une réalité qui n’est globalement pas nouvelle et à laquelle les policiers sont confrontés régulièrement. Que ce soit un cas à gérer ou dix, le code de déontologie est le même. Le public est donc en droit de s’attendre à ce que les policiers soient capables d’y faire face depuis au moins vingt ans.
Briser l’hermétisme policier
Si le phénomène des cas stressants n’est pas si nouveau, comment explique-t-on que la formation, elle, le soit? Pour justifier la récente apparition de cette formation, le directeur résume ainsi : « C’est un tout. La formation a été faite à partir de différents rapports de coroner et des demandes qu’on a des comités du Ministère de la Sécurité publique. » Il semble donc qu’au sein même de la police il y a un manque à combler qui n’avait pas été identifié avant. Pour combler ce manque, quelqu’un a dû réaliser que la police ne s’autosuffirait pas pour créer ce type de formation. Ici, il y a lieu de souligner que l’hermétisme des services de police empêche habituellement des professionnelles d’occuper des postes dans la police. Selon Beauchesne dans son livre le « combattant du crime », le fait que la police soit une organisation paramilitaire empêche les individus professionnels provenant de l’extérieur d’occuper des postes qui correspondraient à leur niveau de compétence. D’ailleurs, l’instructeur de la formation est lui-même un policier qui travail pour la SPVM. Il n’est ni un psychologue, ni un intervenant social… mais il semblerait qu’il ne travaille pas seul. En effet, la SPVM collabore avec des travailleurs sociaux de la CSSS (ÉSUP). Cette astuce permet donc l’existence de patrouilles mixtes jumelant policiers et intervenants sociaux dans les rues de Montréal.
Inéquation
Cela devrait être suffisant pour rassurer le public. Toutefois, cette équation n’est pas si simple. En effet, peu importe les efforts de la police pour sécuriser la population, la peur du crime est en constante croissance. Peu importe combien les prisons sont pleines ou combien la police investie en formations, l’accent mis par les médias sur les nouvelles du crime ne fait qu’amplifier la peur. Le citoyen, au lieu de se sentir rassurer, se sent de moins en moins sécurisé. Les réseaux sociaux ne font qu’empirer la situation puisqu’ils obligent les médias principaux à alimenter les nouvelles du crime de façon encore plus spectaculaire.
Il n’est donc pas permis de conclure que le fait de montrer au public les efforts que la SQ accomplit pour améliorer son contact avec le public saura rassurer ce dernier. Ce que le public risque de retenir d’une telle nouvelle, c’est qu’il y a de plus en plus de crimes dus aux maladies mentales et que les policiers n’y sont pas encore tout à fait préparés.
Néanmoins, les efforts actuels pour démontrer au public que cette «nouvelle réalité» est prise au sérieux et que l’on y fait face avec stratégie et ouverture sont peut-être le début d’une mutation réelle qui permettra aux futurs policiers d’être mieux instruits sur la psychologie et la communication. Mais si cette instruction se fait sciemment, il est permis de se demander quelle «forme» prendront les policiers dans quelques années. Travailleront-ils de pair avec des intervenants sociaux, ou deviendront-ils eux-mêmes ces intervenants? Bref, deviendront-ils des hybrides?