Une guerre perdue d’avance…

L’entrevue réalisée par Sean Penn auprès de Joaquin Guzman Loera, alias El Chapo, remet en question d’une part, la réelle volonté des autorités mexicaines à épingler ce dernier et d’autre part, les techniques d’enquêtes et de surveillance du FBI dépassées par le simple budget d’un acteur qui se dit journaliste. En effet, Sean Penn a été en mesure d’entrer en contact avec l’homme le plus recherché au monde par le FBI et Interpol grâce à une simple actrice mexicaine (intermédiaire) soit, Kate del Castillo. Celle-ci jouait, entre autres, dans les saisons 5 et 6 de la série « Weeds ». Toutefois, avant de relater l’arrestation de Guzman le 8 janvier 2016, il est primordial de faire l’état de la situation politique et géographique particulière au Mexique.

Tout d’abord, le Mexique n’a pas toujours été une plaque tournante du commerce de la drogue. C’est l’intervention de la D.E.A qui en est la cause. En effet, dans les années 80, la D.E.A ferme le passage maritime Sud-américain (Floride, Miami) de la cocaïne provenant de la Colombie. Devant cette action de la D.E.A, les narcotrafiquants développent de nouvelles stratégies pour pallier à cette barrière maritime. Désormais, la Colombie utilise les mexicains comme mules. Avec 20 millions de passages par an à la frontière du Mexique, le travail des douaniers consiste à trouver une aiguille dans une botte de foin puisque les estimations font état que seulement 5 à 10% des importations de drogue sont perquisitionnées. Devant ces pertes pour les narcotrafiquants colombiens, ces derniers, en hommes d’affaires rusés, décident de payer les mules mexicaines en marchandise. Dorénavant, 20 à 25% de la cargaison appartient à la mule. Ainsi, c’est de cette façon que le Mexique met le pied dans le business du commerce de la drogue et devient une plaque tournante puisque le marché le plus lucratif se trouve de l’autre côté de la frontière, soit au États-Unis (consommateur numéro un). Cette analyse économique du Mexique permet de démontrer qu’au fil des années, le Mexique est devenu un intermédiaire crucial pour la pérennité du trafic des stupéfiants. Étant donnée cette position majeure, les trois principaux cartels, en particulier celui de la Sinaloa, ont été en mesure d’étendre leur puissance et, de ce fait, devenir indépendant.

En effet, le Mexique est divisé en 3 cartels. Le Tijuana (côte Ouest), la Sinaloa (centre du Mexique) et le cartel du golfe situé sur la côte Est (alias Juarez). Le cartel Juarez représente la mafia historique de cette ville. Celui-ci est dirigé par Vicente Carillo Fuentes et est en conflit direct avec le cartel de la Sinaloa dirigé par Guzman (El Chapo). Ce conflit a éclaté puisque le parti de l’action nationale (rentre au pouvoir en 2000) a décidé de favoriser le cartel de la Sinaloa au détriment des deux autres. Vicente Fox (mandat de 2000 à 2006) et Felipe Calderon (mandat de 2006 à 2012) sont désormais de mèche avec Guzman. À titre de preuve, durant le mandat de Felipe Calderon, un lourd bilan de 95 632 homicides fait état de l’ampleur du problème lié à la corruption des élites et témoigne de l’influence que possède Guzman sur le gouvernement.

Pour la première fois, Guzman est arrêté en 1993 au Guatemala. Il sera extradé et condamné à 20 ans de prison pour meurtre et trafic de drogues. L’histoire de ce criminel en toute puissance aurait pu se terminer ici, mais ce dernier n’a pas dit son dernier mot. En 2001, Guzman s’évade de la prison la plus sécurisée du pays en se cachant dans un panier de linge sale. À ce moment, El Chapo est le deuxième homme le plus recherché au monde par le FBI et Interpol après Oussama Ben Laden. Après que ce dernier fut tué en 2011, le magazine Forbes place Guzman au premier rang.

Le 22 février 2014, Guzman est arrêté, pour une deuxième fois, par la marine mexicaine en collaboration avec la D.E.A. À la suite de cette arrestation, El Chapo semble hors d’état de nuire. Toutefois, le 11 juillet 2015, ce dernier s’évade par un tunnel de 1,5 km creusé en-dessous de sa douche ayant une dizaine de mètres de profondeur. Le tunnel est très bien équipé (système de ventilation et d’éclairage). Au fil du temps, on apprend que Guzman a fait appel à des ingénieurs qui sont allés se pratiquer en Allemagne. Face à cette deuxième évasion, la crédibilité des autorités est fortement ébranlée, voir remise en question.

Pendant sa cavale de près de six mois, Guzman entre fréquemment en contact avec Kate del Castillo à l’aide d’un téléphone sécurisé. Les échanges de courriels témoignent de la présence d’un amour entre ces deux personnes. Celle-ci négocie une entrevue pour Sean Penn auprès de Guzman. En octobre 2015, Sean Penn réussi à rencontrer Guzman dans une forêt mexicaine après avoir subi de nombreux contrôles de la part de ces gardes du corps. À ce moment, un simple acteur d’Hollywood réussit à trouver l’homme le plus recherché au monde avant le FBI! D’ailleurs, c’est en partie grâce à cette vidéo que les autorités seront en mesure de mettre la main sur Guzman, et ce, à l’aide de l’environnement présent lors de l’entrevue. Lors de l’intervention militaire destinée à capturer Guzman, ce dernier réussi presque à s’évader, avec son chef de sécurité, en passant par le système de drainage de la ville. Toutefois, après leur sortie de la bouche d’égout, les deux hommes au volant d’un véhicule volé sont identifiés par des militaires et capturés. À la suite de son arrestation, une demande d’extradition vers les États-Unis a été demandée. Face à cette possibilité d’être inculpé et d’être condamné à mort aux États-Unis, il reste moins d’un an à Guzman pour s’évader une troisième fois.

Durant l’entrevue, Guzman exprime sa perception du monde de la drogue. De telles affirmations provenant d’une personne ayant plus d’influence que Pablo Escobar aux dires de la D.E.A ne peuvent être passées sous silence. Pour lui, le problème réside chez les consommateurs. C’est la demande qui régie l’offre. S’il n’y a plus de demande, l’offre s’estompera d’elle-même. Tant qu’il y aura une demande, il y aura une offre. Ainsi, face à une tête coupée, il y en a dix qui repoussent. De plus, la D.E.A affirme elle-même ne pas pouvoir éradiquer de façon complète le marché de la drogue, seulement le contenir à un niveau raisonnable. En effet, l’éradication du jour au lendemain d’un marché aussi lucratif que celui de la drogue causerait une crise économique mondiale prenant en considération que ce commerce est le deuxième marché le plus payant juste derrière les armes, mais devant le pétrole. Devant ce constat, la guerre à la drogue n’est-elle pas perdue d’avance? En guise de conclusion, qui dit argent, dit pouvoir. L’histoire en témoigne.