insite- site d’injection supervisé
En Juin dernier, le Maire de Montréal Denis Coderre à annoncé qu’il procèderait à l’ouverture de 4 sites d’injection supervisé (dont un mobile) dans la région de Montréal, avec ou sans l’accord du gouvernement fédéral. Ces centres, sont des structures où les utilisateurs de drogues par injection (UDI) peuvent venir s’injecter des drogues – qu’ils apportent eux-mêmes – de façon sécuritaire et plus hygiénique, sous la supervision de personnel qualifié. La direction de Santé publique de Montréal veut s’inspirer du projet Insite qui a vu le jour dans le Downtown Eastside de la métropole de Vancouver en 2003. Ce qu’intéresse cet article n’est pas le débat qui entoure l’ouverture d’un site d’injection supervisé, mais plutôt les réactions de la police, de la communauté et des instances juridiques lorsque l’un de ces centres voit le jour.
Tout d’abord, il faut savoir que pour ouvrir un centre de services d’injection supervisé au Canada, il est nécessaire de présenter une demande d’exemption à l’article 56 de la Loi règlementant certaines drogues et autres substances. C’est la même exemption que celle qui autorise un médecin à prescrire de la méthadone ainsi que du cannabis à des fins de traitement de la dépendance à l’héroïne ou pour le soulagement de la douleur. Or, l’octroi de cette exemption n’affecte nullement le statut illégal des drogues et autres substances inscrites aux annexes de cette loi dans le Code criminel, mais permet leur usage dans un cadre thérapeutique précis. Dans notre cas, à l’intérieur des centres d’injection supervisé.
En 2011, la Cour Suprême du Canada a statué que le site Insite avait contribué à sauver des vies humaines et à améliorer la santé de personnes toxicomanes sans causer une hausse de la consommation ou de la criminalité dans le quartier où il a été ouvert. Pour rendre sa décision, le plus haut tribunal du pays s’appuie sur la maxime selon laquelle, « l’usager de drogues est une personne à part entière, digne de respect, possédant des droits et un pouvoir d’agir en tant que citoyen » (Brisson, 1997 ; p.45). En parlant ainsi, la Cour ne condamne plus les personnes toxicomanes, mais les narcotrafiquants.
Ainsi, nous pouvons constater que la culture politique locale joue un grand rôle dans l’approche policière. Dans un article paru dans l’International Journal of Drug Policy, on peut observer qu’avant l’ouverture de Insite, la police de Vancouver concentrait ses actions à réduire le désordre public tout en accord avec la guerre contre les drogues pratiquée dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Néanmoins, l’ancien Maire de Vancouver Philip Owen, avait donné son accord pour instaurer le projet pilote du site d’injection supervisé. Il est fondamental de préciser que le Downtown Eastside était le quartier le plus miséreux et le plus pauvre de l’ensemble du pays à cette époque. À la lumière de ce fait, on peut facilement conclure que la police avait des styles particuliers pour policer le Dowton Eastside qui, rappelons-le, était le pire quartier, le plus criminalisé à travers le Canada. Ainsi, en mettant en place un centre d’injection légale, monsieur Owen instaure de facto une politique locale extrêmement novatrice qui était loin de faire l’unanimité. Cette nouvelle politique oblige les services de police à adopter un comportement aux antipodes du style répressif. Maintenant, le mot d’ordre est que lorsqu’un policier trouve une personne en train de s’injecter de la drogue dans un espace public, elle doit systématiquement la conduire au site d’injection supervisé, plutôt qu’au poste de police ou en prison. Aujourd’hui, les patrouilleurs ont une approche totalement distincte dans ce quartier qui est autant criminalisé que les autres, parce que le Maire, la communauté et les entités juridique leur demandent de faire usage de flexibilité mandatée. On remarque donc, que les styles de police et les façons d’appliquer le Code criminel fluctuent d’un endroit à l’autre en fonction des caractéristiques sociales.
Dans cet extrait de « Fix : The Story of an Addicted City » (Une ville sous influence, 92 min.) nous voyons comment, d’une communauté à l’autre, on peut entretenir une vision très différente de ce qui est le crime et quelles sont les réactions appropriées face à ces crimes. Étant donné que les policiers sont régulièrement appelés à intervenir auprès des personnes UDI en réponse aux plaintes de citoyens et commerçants lorsque leurs comportements sont jugés dérangeants ou menaçants – ce qui explique leur surreprésentation dans les interventions policières par rapport à la population en général – les policiers doivent prendre conscience que la toxicomanie est un problème complexe et que les interventions pour maintenir l’ordre public et pour lutter contre la drogue ont une portée limitée sur cette tranche de la population. Dans le rapport de décembre 2014 du Centre de Santé et de Services Sociaux de la Vielle-Capitale, les policiers affirment être conscients que leurs actions, bien qu’utiles à court terme, n’empêchent pas le problème de survenir à nouveau en ce qui trait à l’injection en public, le vagabondage ou le désordre causé par les agissements d’une personne intoxiquée. Ce changement, provient encore une fois des initiatives de la police de Vancouver qui recommande aux héroïnomanes d’utiliser le centre d’injection légal. Ainsi le SPVQ dit savoir que les mesures légales, à elles seules, ne suffisent pas à résoudre un problème de société comme la toxicomanie et plus spécifiquement l’usage de drogues par injection. À cet effet, la collaboration avec des organismes communautaires constitue une approche qui devrait être privilégiée dans une politique de réduction des méfaits en matière de drogue. En effet, cette approche vise une meilleure gestion de la problématique de la consommation de drogues injectables.
Dans le livre perspectives politiques, Line Beauchesne pose la question à savoir si les sites d’injection sécuritaires sont vraiment sécuritaires. Elle répond en disant que ces endroits ne sont pas tout à fait sans absence de risque pour les toxicomanes dans l’optique que ces derniers doivent toujours se procurer leur drogue sur le marché noir. Ainsi, pour Beauchesne un lieu d’injection sécuritaire n’a de réalité que si l’on fournit la drogue de manière que la consommation soit véritablement sécuritaire. Ce que nos lois interdisent, c’est l’usage non médicale des drogues, pas les usages thérapeutiques. Toujours selon Beauchesne, nous devons adopter des actions qui s’inspirent des politiques qu’on a eues au Québec lorsque l’avortement était criminalisé. En effet, lorsque nous avons voulu normaliser l’acte de l’avortement, nous avons crée des organismes de soutien (cliniques de planification familiale) pour s’assurer que les femmes l’accomplissaient par choix et seraient accompagnées le mieux possible. Pour développer des tels espaces de liberté en matière de drogues dans un contexte prohibitionniste, il faudra également avoir l’audace et l’intention d’augmenter l’autonomie du consommateur de même que la volonté de l’accompagner au rythme de ses victoires et de ses échecs. Plus le toxicomane gagne en autonomie, devenant capable d’organiser sa vie autour d’autre chose que la quête de sa drogue, plus ses objectifs s’élargissent et, du même coup, plus il prend ses distances vis-à-vis du marché noir.
Bref, nous constatons que l’implantation de sites d’injections supervisés est certes un grand pas, mais force nous est de constater que cela ne suffit pas à régler la problématique des drogues. Cette question de site d’injection supervisé et de légalisation reste bien actuelle surtout que maintenant que Montréal veut imiter Vancouver. Même la ville de Québec est en cours d’exploration pour savoir s’il serait souhaitable d’inaugurer un de ces sites dans le quartier Saint-Roch. Pour ceux que la question intéresse, il y aura une conférence le 23 février prochain à l’université Laval concernant les sites d’injection à Québec (l’inscription est gratuite).