Deux policiers suspendus pour une fouille illégale

Deux policiers, l’agent Roy et l’agent Campagna, ont eu droit a une suspension de deux jours sans salaire pour avoir fouillé de façon gratuite un individu, son véhicule ainsi que son cellulaire. L’événement, qui est survenu en décembre 2012, a débuté par l’interception aléatoire de Rémi Valcourt dans le but d’une vérification. Ce dernier avait des antécédents de violence conjugale, de harcèlement et de contacts sexuels avec des jeunes filles mineures.
Valcourt, qui n’en était pas à sa première interception par des policiers, aurait haussé le ton à l’égard des agents Roy et Campagna, prétextant que de telles méthodes n’étaient pas justifiées.

Les agents de police auraient à leur tour réagi au comportement agressif de Valcourt en exécutant une fouille. L’un des policiers affirmera avoir aperçu une protubérance dans le manteau de l’automobiliste. Il s’agissait en fait d’un téléphone cellulaire qui fut lui aussi scruté à la loupe. Les résultats de cette fouille furent négatifs et Valcourt est reparti sans constat ni arrestation. Toutefois, l’agent Campagna aurait traité Valcourt de «criminel» durant l’altercation.

Le Comité de déontologie policière décida de la sanction à imposer aux deux policiers, pour avoir procédé à des fouilles illégales sur un citoyen qui n’avait rien à se reprocher au moment de la confrontation. Certains motifs atténuants furent aussi considérés, dont le sentiment d’insécurité qu’ont ressenti les deux policiers devant le comportement agressif de l’automobiliste. Fait intéressant, les deux policiers avaient été médaillés l’an dernier pour action méritoire, après que l’agent Roy ait abattu un cambrioleur qui menaçait la vie de son collègue lors d’une altercation.

D’abord, si l’on se penche sur les faits on réalise que ce n’est pas seulement le sentiment d’insécurité qui a mené à la fouille de l’individu. En effet, les policiers connaissaient Valcourt et ses antécédents au moment de l’intervention, puisqu’ils l’ont traité de criminel et qu’ils ont fouillé son téléphone cellulaire (qui n’est évidemment pas un objet contondant menaçant la sécurité immédiate). L’intervention a donc des traits proactifs et semble représenter un cas typique de crime control vs due process. En effet, le point de départ est un individu reconnu comme un criminel, dont les crimes paraissent moins tolérables puisqu’ils ciblent des femmes et des enfants, puis on lui cherche des poux par le biais d’une fouille généralisée pour procéder à une éventuelle arrestation. Donc les buts, (prévenir des cas futurs d’attouchement sexuels, de violence conjugale, neutraliser un criminel perçu comme étant incorrigible), priment sur les moyens (la nécessité de respecter la Charte).

En outre, les policiers montrent par leur intervention qu’ils conçoivent le rôle du policier comme celui d’un chevalier anti-crime, qui mesure son efficacité par le nombre d’arrestations. En effet, le fait que les agents aient décidé de leur propre initiative de fouiller Valcourt pour trouver quoi que ce soit de compromettant, arme, drogue, pornographie juvénile, montre leur zèle dans une lutte contre le crime. On peut même aller jusqu’à dire que les policiers endossent le style policier du centurion qui lutte contre la grande criminalité, le réaliste de Shearing qui est perçu par ses collègues comme étant un héros anti-crime, ou bien le réactif de Mastrofski qui est orienté vers le crime.

Par ailleurs, puisque les deux agents ont été récompensés par des médailles pour avoir neutralisé un cambrioleur dangereux en 2011 leur rôle de centurion se voit être renforcé. En effet, cette reconnaissance par leurs collègues et l’organisation policière, renforce leur conception du rôle policier comme étant un héros anti-crime, puisque les actions qui vont dans le sens de cette lutte contre les criminels sont celles qui sont récompensées. À ce sujet on peut relever que la résolution de conflit et le dialogue propre à une police dite de proximité ne sont pas les actions les plus récompensées au sein des services de police. En outre, si l’on se laisse aller à des spéculations on peut penser que recevoir une médaille pour action méritoire est une expérience enivrante et qu’il est plus difficile de retourner à des cas plus ordinaire ou à la patrouille après, d’autant plus que 94% des appels sont considérées comme ennuyant par les policiers. Donc les agents Roy et Campagna ou autres centurions qui ne cadreraient pas avec le quotidien du policier pourraient être tentés d’aller au devant de la grande criminalité par des méthodes peu orthodoxes comme une fouille abusive pour mieux performer le policier qu’ils idéalisent.

Finalement, le Comité de déontologie policière a imposé une sanction relativement peu sévère aux deux policiers, prétextant que les agents avaient répliqué au comportement de Valcourt. Cette manière d’atténuer les faits ou du moins de leur trouver une justification peut représenter un exemple d’«account ability» décrit par Ericson. On ne cherche pas ici à nier que les policiers ont commis des actes illégaux, mais on met l’emphase sur les circonstances atténuantes qui ont pu rendre possible ces actes commis par les policiers, (comportement agressif de Valcourt). Par ailleurs, il doit être plus difficile d’utiliser la théorie de la pomme pourrie sur des agents décorés qui n’ont pas d’antécédents déontologiques. On peut donc y voir une volonté de réchapper les policiers.

Pour conclure, un autre article sur le site traite du fait qu’un policier pourra fouiller un téléphone cellulaire sans mandat, puisqu’il peut contenir des preuves non-négligeables. À la lumière de tout ce qui vient d’être mentionné plus haut, on peut être porté à croire qu’une telle mesure redéfinirait le rôle du policier qui tentera, à l’aide de nouveaux moyens, de maximiser les arrestations censées assurer une meilleure prévention du crime. Ils semblerait que même la loi en viendrait à se convertir à la thèse voulant que les buts priment sur les moyens.

Jean Jr Trudelle