11 shérifs californiens tabassent un suspect

Tout d’abord, il est nécessaire de mentionner que cet événement survient dans un contexte particulièrement tendu, alors que des cas de brutalité policière sont répertoriés un peu partout à travers les États-Unis, immortalisés par des témoins ou les caméras des véhicules de patrouilles, puis dévoilés par les médias. En effet, la vidéo montrant un policier foncer à pleine vitesse sur un suspect armé en Arizona, ou encore celle mettant en scène la mort de Walter Scott, un noir injustement abattu par un policier blanc en Caroline du Sud, ont d’ailleurs fait l’objet d’une vaste couverture médiatique tout en soulevant l’indignation générale. Dans ce cas-ci, c’est l’antenne de télévision KNBC qui a filmé, par hélicoptère, les évènements qui se sont déroulés le 9 avril dernier dans le désert de l’Apple Valley, à une centaine de kilomètres de Los Angeles.

Un mandat d’arrestation pour une affaire d’usurpation d’identité avait été présenté au suspect, Francis Jared Pusok, qui possède un important casier judiciaire pour divers délits, tels que tentative de vol et trouble à l’ordre public. Ce dernier a alors pris la fuite à pied, avant de s’emparer d’un cheval pour poursuivre sa route. Lorsque les shérifs l’ont rejoint, le fuyard a reçu des décharges de pistolet électrique, le faisant tomber de son cheval et l’immobilisant partiellement. Il reçut alors de nouvelles décharges, avant d’être tabassé par une dizaine de shérifs adjoints, qui se joignent progressivement à l’altercation. Lors du déroulement de cette arrestation musclée, Pusok aurait reçu pas moins de « 13 coups de pieds, 37 coups de poing et 4 coups de matraque ». Par la suite, le suspect serait resté étendu sur le sol, sans aide médicale, pour une durée de 45 minutes, avant d’être finalement hospitalisé.

Le bureau du shérif reconnaît et justifie l’usage de la force en expliquant que l’utilisation du pistolet électrique aurait été inefficace vu les « vêtements amples » portés par Pusok. Cet événement s’ajoute à de nombreuses plaintes pour usage excessif du pistolet Taser par le corps de police de San Bernardino, dont l’une provient notamment d’une association de défense des droits civiques, l’American Civil Liberties Union.

Jonh McMahon, le shérif du comté de San Bernardino, a affirmé à l’antenne de KNBC être quant à lui préoccupé et « troublé par ce [qu’il a] vu dans la vidéo ». Lors d’une conférence de presse ayant eu lieu quelques jours après les évènements, ce dernier a d’ailleurs annoncé la tenue d’une enquête interne, dont les conclusions seraient transmises au procureur de la circonscription, chargé de décider s’il y aurait poursuites. En ce qui concerne les shérifs adjoints impliqués dans l’incident, dix d’entre eux font l’objet d’une suspension administrative avec salaire. Puis, le 21 avril, les autorités ont annoncé que Pusok, qui a conclu un accord à l’amiable avec le comté de San Bernardino, a reçu un montant de 650 000$ en guise de dédommagements. Les autorités locales, qui maintiennent que les forces de l’ordre n’ont commis « aucun acte répréhensible », cherchent ainsi à éviter les coûts liés à une éventuelle poursuite.

Ainsi, on constate que les technologies de surveillance, qui peuvent bien souvent bénéficier aux policiers et faciliter l’inculpation des suspects, peuvent également se retourner contre ceux qui abusent de la force et de leur pouvoir, qui ne peuvent dorénavant plus échapper aux regards. Qu’ils soient filmés par les caméras installées dans les véhicules de patrouilles, par des citoyens témoins des évènements, ou encore directement par les médias comme dans ce cas-ci, les policiers allant à l’encontre de la déontologie voient la technologie être utilisée à leur détriment.

Ericson dirait d’ailleurs que cela entrave la capacité de raconter des policiers (account ability) lorsque leurs moindres faits et gestes sont filmés et que le déroulement des évènements est à la vue de tous. Dans ce cas-ci, il semble impossible que les policiers parviennent à se justifier avec ce qui s’est passé avant la séquence filmée, ou encore avec le fait que Pusok présentait un danger pour les agents, puisque l’arrestation est présentée en entier et montre qu’il n’y a visiblement aucune raison de tabasser de la sorte le suspect, qui est tout de même rapidement immobilisé. La seule option valide reste la reddition de comptes (accountability), ce qui tarde encore dans le cas présent, avec pour seule affirmation des autorités locales le fait qu’ « aucun acte répréhensible » n’a été commis, alors qu’il semble flagrant qu’il s’agit du contraire. En effet, la suspension quasi-immédiate des dix shérifs adjoints et la compensation financière donnée à Pusok, qui n’a lieu d’être que si le risque qu’il gagne sa poursuite est considérable, semblent un moyen d’acheter la paix et viennent confirmer que les évènements sont bel et bien répréhensibles.

Il importe toutefois d’être prudent face aux images et aux « faits » présentés par les médias. Il est bien connu que l’univers médiatique recherche le sensationnalisme, et vise à choquer afin de mousser ses cotes d’écoutes et de susciter l’attention du téléspectateur. En effet, quoi de mieux que de la brutalité policière envers un suspect impuissant pour stimuler un téléspectateur révolté à vouloir en connaître davantage ? Par contre, dans ce cas-ci, il semblerait difficile – même pour les médias – de manipuler et déformer totalement ces images, lorsqu’il est possible de constater de nos propres yeux la tournure des évènements.

Il apparaît donc évident que l’usage de la force déployé par ces shérifs adjoints, bien que considéré comme non-répréhensible par les autorités de San Bernardino, était inutile pour procéder à l’arrestation du fuyard. Bien qu’il n’ait pas été totalement immobilisé par les premières décharges du pistolet Taser, Pusok était étendu au sol, et ne semblait pas représenter un danger – ni de blessure, ni de fuite – pour les autorités. Il convient de rappeler que la spécificité du contrôle social policier réside dans « la possibilité de recourir, si nécessaire, à la contrainte par l’usage de la force physique ou de la force matérielle ». Les termes « si nécessaire » prennent ici toute leur importance. Il convient en effet de se demander si une dizaine d’hommes et une cinquantaine de coups étaient nécessaires afin d’immobiliser et de menotter un suspect déjà plaqué au sol…

Ayant été l’œuvre d’un seul shérif, il aurait été facile de qualifier cet abus de force de cas isolé, d’une pomme pourrie au sein du corps de police, tout en rassurant les citoyens en expliquant qu’il s’agit d’un comportement inhabituel, comme ce fut le cas lors des autres évènements de brutalité policière mentionnés ci-haut. Cependant, vu la dizaine de shérifs adjoints impliqués dans le tabassage de Pusok et considérant les nombreuses plaintes à l’égard du corps de police concernant leur usage fréquent de force abusive par le passé, la justification est bien moins évidente.