Lorsqu’une Intervention policière est filmée par le public
Les tragiques événements entourant la mort de Walter Scott le 4 avril dernier ont profondément choqué les Américains, et particulièrement la communauté afro-américaine aux États-Unis.
Dans ce vidéo, il est possible d’apercevoir le policier Michael Slager tirer à 8 reprises dans le dos de Walter Scott qui tentait de s’enfuir. Alors que le policier affirmait avoir usé d’une force nécessaire afin de se défendre contre une agression, la vidéo démontre le contraire. Suite à la diffusion de l’enregistrement, la version du policier a rapidement été contredite et Michael Slager a été mis à pied par son service de police et accusé de meurtre. Nous sommes en droit de nous demander: qu’elle aurait été la tournure des événements sans le vidéo capté par le témoin. La vérité serait-elle sortie tout de même? Le policier aurait-il été couronné un héros pour avoir agi avec bravoure face à une menace? Nul ne peut le savoir, mais ce qui est certain, c’est que la question d’une surveillance policière plus accrue, notamment en équipant les policiers de “body cams”, est d’actualité aux États Unis et dans plusieurs pays occidentaux.
D’ailleurs, l’accessibilité grandissante à des téléphones intelligents fait en sorte qu’il n’est pas rare de voir des interventions policières enregistrées par le public. Habituellement, celles-ci se passent bien et il n’y a aucun incident. Mais parfois, les policiers n’apprécient pas se faire filmer et les choses peuvent dégénérer, comme il a été le cas dans ce vidéo provenant de South Gate en Californie le 19 avril dernier.
Alors qu’une escouade composée de policier et d’agents de la paix provenant de divers organismes de sécurité publique se rassemble en préparation d’une frappe visant le groupe de motard criminalisé “Les Mongols”, une citoyenne décide de les photographier à l’aide de son cellulaire. Cette citoyenne est elle-même l’objet d’un vidéo tourné par une dame à l’intérieur de chez elle et c’est ce vidéo que vous pouvez visionner ci-dessus. Ignorant la citoyenne, un groupe de policiers a le dos tourné à elle et ils discutent entre eux. Quelques secondes après, il est possible d’apercevoir un U.S Marshal courir vers la dame, agripper son cellulaire, lui enlever des mains, le lancer au sol et apparemment donner un coup de pied au cellulaire qui est au sol.
Bien évidemment, il a eu un abus de pouvoir de la part du U.S. Marshal.
Aux États-Unis, comme au Canada, il est parfaitement légal et rien n’empêche une personne de d’enregistrer les agents de la paix dans l’exercice de leurs fonctions. Examinons de plus près les aspects légaux entourant le fait de filmer une intervention policière ainsi que les limites à ne pas dépasser.
Au Canada, il n’est pas illégal pour un citoyen d’enregistrer un policier dans l’exercice de ces fonctions. Un citoyen peut donc prendre des vidéos ou des photos de toute intervention policière. Il existe toutefois une limite à ce droit; le citoyen doit agir sans nuire ou tenter de nuire au travail des policiers. En autant que ce point est respecté, et considérant que le citoyen ne commet pas une infraction à une loi en vigueur, le policier devra tolérer le citoyen qui le filme et ne peut se saisir du téléphone cellulaire.
Le citoyen qui dépasserait cette limite en nuisant au travail policier pourrait être accusé de plusieurs infractions. Plus communément dans ce genre de situation, l’infraction d’entrave au travail d’un agent de la paix en vertu du Code criminel (art. 129) ou du Code de la sécurité routière (art. 638.1) pourrait être évoqué. En ce qui concerne l’entrave, notons que le policier peut imposer au citoyen un périmètre de sécurité à respecter, s’il est convaincu qu’il s’agit d’une mesure raisonnable et nécessaire pour l’exécution de ses fonctions, selon l’ensemble des circonstances. Le fait de ne pas respecter ce périmètre de sécurité, une fois dument ordonné de le faire par le policier, constitue une infraction. Les infractions d’extorsion (art. 346 du C. cr.) ou d’intimidation d’une personne associée au système judiciaire (art. 423.1 du C. cr.) pourraient aussi être utilisées.
Dans le cas de la commission d’une infraction par le citoyen qui enregistre une intervention policière, le policier pourrait alors l’interpeller et le placer en état d’arrestation; les pouvoirs accessoires à toutes arrestations prévues par la common law et par le Code criminel s’appliqueraient. Dans certains cas, ces pouvoirs accessoires permettraient aux policiers de saisir le téléphone du citoyen en défaut et de fouiller le contenu du cellulaire.
Les critères légaux permettant une telle saisie et fouille furent établis récemment dans l’arrêt R. c. Fearon (2014, CSC). On peut y lire que le critère légal pour effectuer cette fouille accessoire consiste en des chances raisonnables que le cellulaire fournisse une preuve relative à l’infraction pour laquelle l’individu est arrêté.
Sommes toutes, une très grande quantité d’interventions policières sont enregistrées chaque jour, et il est très rare que les vidéastes amateurs aient des problèmes. En vertu des récents événements aux États-Unis, je comprends le sentiment d’injustice ressentie par certaines communautés et leur désir d’avoir une justice plus transparente. Dans cette optique, il pourrait être désirable et pertinent d’équiper nos policiers avec des “body cams”. Ces petites caméras sont de plus en compactes et coûtent de moins en moins cher. En plus d’assurer une plus grande redevabilité chez les policiers, elles pourraient aussi être utilisées comme preuve difficilement réfutable, tout en protégeant les agents de la paix de plaintes frivoles et d’accusations non fondées.
Étant policier, je porterais volontiers ce type d’appareil et je crois qu’il en serait à l’avantage de tout policier de le faire. Alors que plusieurs interventions policières sont enregistrées, il n’est pas rare que seulement les segments les plus “vendeurs” et sensationnels sont diffusés et publiés. Une vidéo de 10 secondes où on aperçoit un policier donner un coup de poing à un suspect qu’il tente de maitriser, aussi violent que puisse paraitre le coup de poing, ne signifie absolument rien, si nous ne connaissons pas les faits, les circonstances et le contexte entourant l’utilisation de la force (car, rappelons-le, un policier a le droit d’utiliser la force nécessaire dans l’exercice de ces fonctions en vertu de l’art. 25 du C. cr.). Une telle caméra personnelle portée par les policiers permettrait donc d’éclaircir les faits entourant une intervention, tout en permettant de bien comprendre la perspective du policier.
Par contre, dans une société où l’information est dominée par des opinions minute créées par les médias dans le but d’être les plus divertissantes et accrocheuses possible, prendrait-on le temps de s’écarter du sensationnalisme et de réellement informer le public?