Le projet de loi C-51 et la surveillance du SCRS

Le gouvernement du Canada souhaite donner d’importants nouveaux pouvoirs au SCRS avec le projet de loi C-51, pour combattre le terrorisme et les extrémistes violents au Canada. Il s’agit d’un choix éminemment politique et ne cadre pas avec un calcul actuariel des probabilités que quelque chose arrive, des conséquences de cet événement et de la résilience des cibles probables. Le budget fédéral présenté en avril 2015 prévoit une augmentation substantielle du budget du CSARS, mais qui ne sera réelle que dans 2 ans. Même dans ce cas les ressources resteront largement insuffisantes à la tâche — surtout que cette dernière augmente substantiellement avec C-51.

Au Canada, le Service canadien de renseignements de sécurité (SCRS) a un mandat qui vise toutes les activités politiques et menaces envers la stabilité de l’État. C’est une agence civile, non policière, dont les activités de ses agents sont sous la surveillance du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité (CSARS), qui étudie les opérations du SCRS pour le gouvernement et le Parlement canadien afin d’assurer que les lois sont respectées. Dans ce comité, on compte 18 employés pour surveiller les 3200 espions canadiens. Bien que les budgets du SCRS ont plus que doublé depuis septembre 2001 (248 M$ à 516 M$), ceux du CSARS n’ont presque pas augmenté (2 M$ à 2,7 M$ — 100 000$ de plus que l’inflation). Notons également que malgré son nom ce n’est pas tout le renseignement de sécurité qui tombe sous la responsabilité du CSARS. Entre autres, le CANAFE, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et le de «Programme des enquêtes criminelles relatives à la sécurité nationale» de la GRC sont exclus de son mandat.

François Lavigne, un ancien agent du SCRS, et Edward Snowden – l’homme qui a « sonné l’alarme sur l’espionnage électronique abusif et possiblement illégal de la National Security Agency (NSA) – disent que la surveillance du CSARS à l’égard du SCRS est très faible. Snowden affirmait même que le monde du renseignement canadien a un cadre de surveillance qui est parmi les plus faibles de toutes les agences de renseignement occidentales ». Ces mots ne vont certainement pas faire une présentation positive du SCRS ni mettre en valeur les nouveaux pouvoirs des agents qui ne seront que très peu surveillés. Quant à M. Lavigne, il dit que le CSARS n’a pas l’indépendance requise pour faire son travail et, en plus, « le Comité doit aviser le SCRS des mois à l’avance sur quoi il va enquêter ». À l’inverse, Michel Coulombe, le directeur du SCRS, dit que le CSARS est robuste et fait du SCRS une meilleure organisation.

Plus de pouvoirs aux agents du SCRS, mais à quel prix ?

Le projet de loi C-51 accorde trop de pouvoir au SCRS, selon le gouvernement du Québec, le Barreau canadien, plusieurs juristes éminents et professeurs spécialisés en droit antiterrorisme et en droit de la vie privée. Ce projet de loi rendrait notre société plus poreuse qu’elle ne l’est, c’est-à-dire que la vie du citoyen deviendra de plus en plus visible pour plus de personnes. De plus, en empêchant le retour de Canadiens de l’étranger – un des pouvoirs mentionnés dans la loi C-51 – et en détenant des suspects sans passer par les procédures de police établies, on deviendrait une société plus soupçonneuse. Les autres pouvoirs donnés aux agents seraient qu’ils pourront supprimer sur le Web des écrits et des vidéos qu’ils trouvent dangereux ou qu’ils considèrent comme de la propagande terroriste, vider des comptes bancaires, s’engager dans des campagnes de désinformation, par exemple. Bref, ils pourront à nouveau piger dans la trousse à outils qui a mené à la dissolution du Service de sécurité de la GRC en 1984, suite à une série de scandales.

Le rôle du CSARS reste sous le modèle de la redevabilité, donc en réaction à des abus.  Bien que formellement indépendant, ce mécanisme de surveillance est si peu outillé qu’il est de facto dépendant de la bonne volonté du SCRS pour pouvoir fonctionner. Bien que la porte-parole du CSARS, chargée principalement de dorer l’image de ce comité, assure qu’ils sont très bons est efficaces, il n’en reste pas moins qu’il s’agit de 18 employés censés surveiller les activités de 3200 agents. D’ailleurs quatre anciens premiers ministres qui ont écrit une lettre ouverte au gouvernement le mois dernier, déplorent l’absence de surveillance réelle des activités du SCRS.