Des millions de courriels collectés par les autorités canadiennes

En février dernier, un article dans le journal La Presse parut sous le nom de : «Des millions de courriels collectés par les autorités canadiennes».  Suite à la lecture de cet article, j’en suis venue à me poser la question suivante : Est-ce justifié que le Centre de sécurité des télécommunications (CST) recueille chaque mois des millions de courriels échangés par des canadiens et les conservent pendant «des mois», et ce malgré qu’officiellement leurs activités sont censées concerner majoritairement l’étranger ?

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Tout d’abord, le CST a été créé en 1947 suite à l’accord UKUSA et il visait principalement l’interception des communications du Bloc Soviétique. Malgré que les activités du CST soient en principe réservées à l’étranger, elles peuvent tout de même s’étendre au Canada dans quelques exceptions, en particulier en ce qui a trait à son mandat de protection des infrastructures informatiques du gouvernement du Canada. Cela dit, sur les 400 000 courriels de Canadiens scannés chaque jour, l’article affirme que seulement 1% représenterait des «cyber-menaces» potentielles. En réaction aux nombre total de courriels, CBC affirme que le «volume intercepté est sans doute bien plus important aujourd’hui en raison de la hausse du trafic sur internet». Suite à cela, le CST déplore même avoir trop d’informations à traiter. Par contre, puisque leur mandat interdit officiellement l’espionnage des canadiens sans mandat judiciaire, comment se fait-il qu’autant de données sur eux se retrouvent dans le système du Centre de sécurité des télécommunications ?

Le site du gouvernement du Canada, dans sa section portant sur la loi anti-terroriste, montre que depuis 2002 cette loi confirme le mandat en 3 volets soit : fournir des renseignements électromagnétiques (SIGNT) étrangers, contribuer à la protection des systèmes et des réseaux (sécurité TI) du gouvernement ainsi que fournir un soutien aux organismes fédéraux chargés de l’application de la loi et de la sécurité. Plus précisément, leurs fonctions principales sont la cryptologie, la sécurité informatique et l’interception de ce qui se situe à l’étranger.

De ce fait, l’article mentionne que le CST, grâce à son logiciel espion (Pony Express), recueille chaque jour quelques 10 téraoctets de données ce qui équivaut à 26 millions de livres. Cette panoplie d’informations est réalisée grâce au «trafic réseau sur écoute»  qui laisse suggérer que le CST siphonne les opérateurs canadiens, comme la NSA le fait aux États-Unis.

Ainsi, puisque des millions de courriels canadiens sont interceptés chaque année par le CST, et ce malgré qu’en principe leurs activités sont réservées à l’étranger, il est intéressant de remarquer à quel point ceci a un lien avec notre société dite à «sécurité maximale».

Selon Gary Marx, cette «société à sécurité maximale» utilise la technologie afin de contrôler les comportements des individus afin qu’ils fonctionnent «en machine». On veut donc toujours pouvoir contrôler les comportements d’autrui afin qu’ils soient toujours normalisés. Bref, on a du mal à accepter les individus présentant des comportements différents. Ceci se traduit par un appel à de meilleurs protocoles de sécurité et de surveillance. L’informatique a grandement facilité la création et l’intégration de base de données où les informations sont gardées, de même que l’accès décentralisé (nos informations peuvent se retrouver partout) à leur contenu.

Dans une société où la sécurité est une préoccupation constante, tout passe par la gestion des risques. D’ailleurs, à en croire les médias, les dangers pouvant compromettre la sécurité sont en constante augmentation. La seule solution est d’apprendre à les éviter. Un des multiples exemples est la création du Centre de sécurité des télécommunications, une agence civile collectant des informations pour gérer les risques. Les individus surveillés sont classés selon leur appartenance statistique à un groupe de risque. Dans l’article ci-présent cela pourrait être démontré à l’aide du 1% identifié comme ayant entrepris de potentiels «cyber-attaques».

Une des conséquences visibles de cette gestion des risques amène à qualifier notre société comme étant «d’auto-surveillance». À cet effet, nous demandons, autant directement qu’indirectement et parfois même sans nous en rendre compte, à être surveillés pour notre bien et le bien de tous. Nous nous plions ainsi à une surveillance accrue parce que nous pensons constamment que l’autre juste à côté de nous est un criminel dangereux. Il n’est donc pas étonnant de voir que les gens ne réagissent pas énormément à l’interception de leurs télécommunications par le CST, peut-être par manque de connaissance sur le sujet ou simplement par insouciance.

Pour conclure, on remarque que les activités entreprises par le CST s’emboîtent très bien dans la société sécurité maximale de Gary Marx. Le plus inquiétant c’est qu’une agence autonome du gouvernement (depuis 2011) dépasse de loin ses mandats officiels tournés vers l’étranger et seulement dans quelques exceptions vers le Canada.