Diminuer la violence dans les écoles par le recours à la vidéosurveillance
Voilà le projet entamé à l’automne 2013 par la Commission scolaire Marguerite-Bourgeois de Montréal qui envisageait, sur une période de trois ans, d’installer près de 900 caméras de surveillance dans ses écoles primaires et secondaires. Le motif derrière cet investissement massif? Contrer la violence. Un bien grand mot, mais encore? Selon la direction de la commission scolaire, il s’agit d’une demande qui émanerait des directions d’école elles-mêmes dans le but de diminuer le vandalisme, la vente de drogue, identifier les visiteurs à la porte, etc. Les inquiétudes soulevées par les directions font notamment référence à la tuerie de l’école Sandy Hook à Newtown aux États-Unis, où rappelons-le, un individu armé s’était introduit dans l’école primaire et avait causé la mort de 26 personnes.
Aujourd’hui, la vidéosurveillance fait partie de notre quotidien sans que nous en soyons toujours pleinement conscients, principalement en raison du nombre sans cesse grandissant d’endroits publics où l’on retrouve ce type de technologie (centres commerciaux, universités, banques, dépanneurs, etc.). Dans ce projet, il est prévu que les écoles primaires bénéficieront de 6 caméras par établissement, qui seront principalement situées à l’extérieur, tandis que les écoles secondaires verront ce nombre chiffré à 35 caméras qui seront positionnées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Bien entendu, les caméras ne peuvent être installées aléatoirement par n’importe quel fournisseur de service. Il y a des règles à respecter, notamment en matière d’accès à l’information : l’affichage doit être présent pour indiquer que les lieux sont sous vidéosurveillance (Commission d’accès à l’information). Il est également stipulé que les établissements devront identifier et cibler clairement à quels problèmes précis ils souhaitent s’attaquer et doivent également démontrer que la vidéosurveillance règlera ces problèmes. Tel qu’il est exprimé par la Commission d’accès à l’information : « […] les institutions doivent être en mesure d’établir que l’objectif poursuivi par l’usage de la vidéosurveillance est suffisamment important pour justifier la cueillette de renseignements personnels ». De plus, « les lieux ciblés doivent, notamment, être reconnus comme étant des espaces criminogènes ». Finalement, la Commission mentionne dans un document édictant les règles d’utilisation que l’usage de la vidéosurveillance doit être une option de dernier recours considérant que la présence d’agents de sécurité ou autres mesures de surveillance humaine n’a eu aucun effet sur la problématique ciblée.
Dans une certaine mesure, je suis d’accord avec le fait que ces équipements pourront éventuellement permettre l’identification de malfaiteurs ou servir de preuve contre un élève, dans la mesure où le problème de violence, que ce soit de l’intimidation, du taxage et des agressions, ne se déplace pas dans des lieux non surveillés tels que le fond de la cour d’école, l’autobus scolaire (même si certaines disposent de caméras à l’intérieur) ou le chemin entre la maison et l’école. Mais de là à prévenir ou à dissuader la délinquance, rien n’est moins certain. Des recherches britanniques démontrent clairement que la vidéosurveillance n’a aucun incident sur la criminalité, à l’exception de certains milieux, tels les stationnements, et n’a pas pour effet d’augmenter le sentiment de sécurité. De plus, pour que la vidéosurveillance soit efficace, encore faut-il que quelqu’un regarde en temps réel ce qui se déroule devant l’objectif ou qu’une plainte soit formulée avec des jours et des heures précis afin de savoir à quel endroit chercher dans les enregistrements. Y aura-t-il désormais du personnel d’école attitré à la vidéosurveillance? Et parlant d’enregistrements, combien de temps seront-ils conservés? Qui y aura accès? Quelle sera la qualité des enregistrements? Permettront-ils d’identifier aisément un malfaiteur? Bien que la technologie soit très puissante en ce qui a trait à la vidéosurveillance avec des caméras, optimisée pour la vision de nuit ou en enregistrement sur 360 degrés, je ne crois pas que les commissions scolaires soient prêtes à investir un tel montant pour l’achat de caméras. Il existe également de nombreux moyens de contourner les systèmes de vidéosurveillance simplement en portant une casquette ou n’importe quel autre couvre-chef, en baissant la tête, en tournant le dos à l’objectif ou en usant des angles morts. De plus, même si la caméra se trouve dans une bulle teintée, il est possible de voir dans quel angle elle pointe.
Bref, tout cet investissement permettra-t-il de contrer réellement la violence dans l’école ou est-ce que cela ne fera que la déplacer? Sera-t-elle utilisée correctement en fonction de la loi ou risque-t-elle d’être utilisée à des fins de surveillance d’employés, ce qui est proscrit par la loi? Ne devrait-on pas avoir recours à la surveillance par le personnel qui sera en mesure d’intervenir dans l’immédiat? Car, comme mentionné ci-dessus, s’il n’y a personne qui surveille en temps réel les écrans de contrôle, comment fera-t-on pour déceler des situations de violence en train de se dérouler dans la cour d’école ou dans la cafétéria? Pour qu’un système de vidéosurveillance soit efficace, il doit faire comprendre aux malfaiteurs que cela modifiera son calcul coût-bénéfice en augmentant les chances d’être pris en flagrant délit par l’intervention rapide et immédiate de personnel surveillant. Cela ne semble pas être le cas de la commission scolaire qui, à première vue, utilisera le système à la suite de la commission de certains actes, repoussant donc la conséquence probable dans le temps.
Tous semblent penser que les systèmes de vidéosurveillance ont un effet dissuasif sur la criminalité et que c’est une solution simple et rapide de mettre un pansement sur une blessure. La commission scolaire n’aurait-elle pas dû recourir à des méthodes d’analyse stratégiques du problème? C’est croire à tort qu’un diachylon fera l’affaire sur une fracture ouverte…