Policier accusé d’homicide involontaire coupable
Le jeudi 12 février dernier, un policier de la Sûreté du Québec a été arrêté et accusé d’homicide involontaire coupable. Le Cst. Éric Deslauriers a été arrêté sur son lieu de travail au poste de la MRC des Pays-d’en-Haut de la Sûreté du Québec par des enquêteurs de l’unité des crimes majeurs du Service de police de la ville de Montréal suite à une enquête indépendante menée par ces derniers. Il a été remis en liberté par promesse de comparaître et devra revenir devant les tribunaux le 10 mars au palais de justice de Saint-Jérôme. Il a été suspendu avec solde en attendant la suite des procédures.
Les faits qui lui sont reprochés datent du 22 janvier 2014. Le Cst. Éric Deslauriers, 43 ans, patrouillait aux alentours de l’école secondaire Augustin-Norbert-Morin à Sainte-Adèle lorsqu’un véhicule a attiré son attention. Il s’agissait d’un Mazda RX8 rouge. Un véhicule de même modèle et couleur avait été rapporté volé 3 jours auparavant. En s’approchant du véhicule, le Cst. Éric Deslauriers a été en mesure de confirmer qu’il s’agissait bel et bien du véhicule volé et qu’il y avait un individu à bord; David Huyghes Lacour, 17 ans.
Les policiers auraient interpellé Lacour et lui aurait ordonné de s’immobiliser. Lacour n’a pas obtempéré et une courte poursuite s’ensuit. Au terme de cette poursuite, Lacour aurait tenté de heurter le Cst. Deslauriers en faisant marche arrière avec son véhicule. Il y aurait eu impact entre le véhicule volé de Lacour et l’auto-patrouille conduite par le Cst. Deslauriers. C’est alors que le policier de 43 ans aurait fait feu à 2 reprises, atteignant mortellement au thorax et Lacour.
Comme le prescrit la loi sur la police, lorsqu’un décès ou des blessures graves surviennent à la suite d’une intervention policière, une enquête indépendante avait alors été entamée par le SPVM.
L’enquête ayant été complétée, le rapport a été soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui a décidé qu’à la lumière du dossier et de la preuve, il était opportun de déposer des accusations contre le policier impliqué.
C’est ainsi qu’un mandat d’arrestation contre le Cst. Éric Deslauriers a été émis. On pouvait y lire «[Deslauriers] a causé la mort de D. H. L. En déchargeant intentionnellement une arme à feu sans se soucier de la vie ou de la sécurité d’autrui, commettant ainsi un homicide involontaire coupable». Conformément aux dispositions du Code criminel, s’il est reconnu coupable le policier ferait face à une peine d’au moins 4 ans d’emprisonnement dû à l’utilisation d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction et l’emprisonnement à perpétuité (art. 236 a) du C. cr.).
Alors que les faits entourant l’événement sont encore nébuleux et contradictoires, certaines sources affirment qu’il y aurait discordance entre le rapport du coroner et la version du policier. L’analyse des blessures par le coroner ne corroborerait pas les dires du policier. Mais pour le moment il est impossible d’analyser en profondeur l’ensemble du dossier, car seuls le DPCP et les enquêteurs ayant participé à l’enquête détiennent l’ensemble des faits.
Il est par contre pertinent d’explorer le cadre légal qui légifère l’emploi d’une force susceptible de causer des lésions corporelles graves ou la mort lors d’arrestation par des agents de la paix. Le législateur permet l’utilisation d’une telle force uniquement si certaines conditions spécifiques sont atteintes.
Dans un premier temps, notons que Deslauriers pouvait légalement procéder à l’arrestation sans mandat de Lacour en vertu de l’art. 495 (1) b) du C. cr. En l’occurrence, le Cst. Deslauriers a trouvé Lacours en train de commettre un vol de plus de 5 000 $ en flagrant délit conformément à l’art. 322 (1) du C. cr. Soit un acte criminel “pur” tel que stipulé à l’art. 334 (a) du C. cr.
De plus, l’art. 25 (1) b) du C. cr. accorde au policier le droit d’utiliser la force nécessaire afin d’appliquer la loi et procéder à une arrestation qu’il a légalement le droit d’effectuer; par contre, cette force ne peut être excessive, tel qu’énoncé à l’art. 26 du C. cr.
Plus particulièrement dans ce cas, le policier a fait usage de son arme de service. L’utilisation de cette arme à feu est susceptible de causer des lésions corporelles graves ou la mort; le policier ne peut donc utiliser ce niveau de force que s’il a des motifs raisonnables de croire que cette force est nécessaire afin de se protéger lui-même ou toute autre personne contre des lésions corporelles graves ou la mort, conformément à l’art. 25 (3) du C. cr.
Finalement, notons que selon plusieurs témoins, Lacours tentait de fuir les policiers qui avaient légalement le droit de procéder à son arrestation. «Quand les policiers sont arrivés, mon ami a essayé de s’enfuir, le policier est sorti avec son arme et on a entendu deux coups de feu» a déclaré un étudiant de l’école qui a aperçu la scène. L’art. 25 (4) du C. cr., qui légifère l’utilisation d’une force susceptible de causer des lésions corporelles graves ou la mort en cas de fuite me semble donc très pertinent:
25. (4) L’agent de la paix, ainsi que toute personne qui l’aide légalement, est fondé à employer contre une personne à arrêter une force qui est soit susceptible de causer la mort de celle-ci ou des lésions corporelles graves, soit employée dans l’intention de les causer, si les conditions suivantes sont réunies :
- a) il procède légalement à l’arrestation avec ou sans mandat;
- b) il s’agit d’une infraction pour laquelle cette personne peut être arrêtée sans mandat;
- c) cette personne s’enfuit afin d’éviter l’arrestation;
- d) lui-même ou la personne qui emploie la force estiment, pour des motifs raisonnables, cette force nécessaire pour leur propre protection ou celle de toute autre personne contre la mort ou des lésions corporelles graves — imminentes ou futures;
- e) la fuite ne peut être empêchée par des moyens raisonnables d’une façon moins violente.
De par les accusations déposées contre le Cst. Deslauriers, il est possible de conclure que le DPCP est d’avis que les actions qu’il a posées ont excédé les balises légales établies pour l’utilisation d’une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves par un agent de la paix dans l’exercice de ses fonctions. 3 écarts du cadre légal peuvent expliquer une telle décision:
- Le policier a utilisé une force excessive, allant à l’encontre de l’art. 25 (1) du C. cr. Il devient donc criminellement responsable de ses actes, conformément à l’art 26 du C. cr.
- Le policier a utilisé une force susceptible de causer des lésions corporelles graves ou la mort alors qu’il n’avait pas de motifs raisonnables de croire que cette force était nécessaire pour se sauvegarder lui même ou toute autre personne d’un niveau de force équivalent, tel qu’énoncé à l’art. 25 (3) du C. cr.
- Le policier n’a pas respecté 1 des 5 critères qui réglementent l’utilisation d’une force mortelle alors que le suspect tente de fuir (art. 25 (4) du C. cr.). Plus particulièrement, il est possible que les critères 25 (4) d) ou 25 (4) e) du C. cr. n’ont pas été respecté par le cst. Deslauriers.
Un écart à 1 de ces 3 points fait en sorte que l’utilisation de la force qu’a faite le policier devient un acte illégal; ouvrant la possibilité à une poursuite criminelle pour homicide. Il sera donc intéressant de suivre ce dossier afin de connaître laquelle des 3 écarts énoncés ci-haut le DPCP reproche au policier.
À l’aube de la création d’un nouveau Bureau des enquêtes indépendantes, et alors que plusieurs ont souvent questionné la validité des enquêtes sur les agissements des policiers par des policiers provenant d’un autre corps de police, accusant ces derniers de manquer de rigueur dans leur enquête, ceci me semble être un bel exemple de transparence et de professionnalisme. Les policiers sont constamment gouvernés et surveillés par diverses entités différentes, que ce soient à l’interne ou à l’externe. Même si Egon Bittner et Carl Klockars caractérisent le travail de la police par l’utilisation de la force et que l’état accorde le monopole de la violence et de la force coercitive aux policiers, celle-ci est attentivement réglementée et les policiers demeurent responsables de leurs actes et doivent répondre de leurs écarts.