L’année noire du 36 quai des Orfèvres

Le « 36 » est le nom communément donné à la police judiciaire (PJ) de Paris, situé au 36 Quai des Orfèvres. L’année 2014 a été marquée par plusieurs scandales impliquant des policiers, et même le directeur du service régional de la police judiciaire de Paris, remplacé deux fois depuis la fin de l’année 2013.

Depuis 2007, le poste de directeur était occupé par Christian Flaesch. Ce dernier a été démis de ses fonctions en décembre 2013 pour avoir prévenu Brice Hortefeux, un homme politique, qu’une enquête sur le financement de son parti aux élections présidentielles de 2007 était en cours, et qu’il serait appelé à s’exprimer sur le sujet. Flaesch est remplacé par Bernard Petit.

Au mois d’avril 2014, trois policiers occupant des fonctions différentes au sein de la police font les manchettes. Il est alors question d’une touriste canadienne ayant porté plainte pour agression sexuelle. Le viol se serait déroulé à l’intérieur même des bâtiments de la police judiciaire. Les trois hommes ont été suspendus.

Une énorme quantité de drogue disparaît du siège de la PJ en juillet 2014. Les 52 kilogrammes de cocaïne ont en réalité été dérobés par un agent de la brigade des stupéfiants, Jonathan G. Les enquêteurs penchent pour une « commande du grand banditisme ». Un escroc français renommé, Christophe Rocancourt, serait d’ailleurs impliqué dans cette histoire.

Bernard Petit, le nouveau directeur de la PJ, a récemment déposé sa démission. Il n’a pas vraiment eu le choix, étant donné son inculpation pour « révélation d’informations sur une instruction dans le but d’entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité ». Il s’agit ici, encore une fois, d’avoir averti et communiqué des renseignements à des hommes puissants au sujet de procédures judiciaires les concernant. Bernard Petit sera remplacé par Christian Sainte, présentement en poste à la PJ de Marseille.

Selon le professeur de criminologie Maurice Punch, on peut séparer la déviance policière en quatre catégories : la corruption, la prédation, la stratégie et le détournement de la justice. La corruption renvoie au fait de rendre un service en échange d’un cadeau. La prédation est reliée à l’exploitation d’une personne ou d’une organisation. La stratégie signifie que les policiers se servent de leur pouvoir pour servir leurs intérêts policiers. Enfin, le détournement de la justice revient à masquer, dissimuler des crimes.

Selon la typologie de Punch, Lorsque Christian Flaesch a averti Hortefeux qu’on le convoquerait dans le cadre d’une enquête sur le financement, il a fait preuve de mauvaise conduite. En communiquant ce renseignement, il a effectivement désobéi aux règles internes de l’organisation policière. Quant au scandale du viol de la touriste canadienne, il s’agit de criminalité policière, c’est-à-dire que les fautifs ont utilisé leur position d’autorité pour abuser d’une femme dans leurs locaux, un lieu qui leur est familier. Dans le cas de la cocaïne subtilisée par un agent des stupéfiants, il s’agit de ce que Punch appelle du vol (garder ce qui a été saisi lors d’une fouille). Étant donné la valeur estimée de la marchandise – deux millions d’euros – et le statut de l’accusé (brigadier des stupéfiants), on pourrait aussi qualifier cet événement de criminalité policière. Effectivement, Jonathan G. s’est servi de son poste dans l’escouade anti-drogue afin de voler les 52 kilogrammes de cocaïne, sans aucune prudence apparente. Bref, les principaux types de corruption selon Punch sont observables à la PJ.

La cause de la démission de Bernard Petit du poste de directeur de la PJ de Paris jette un immense discrédit sur tous les hauts gradés de la police française. Cet événement implique plusieurs figures importantes, comme le créateur du GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale) et le président de l’ANAS (Association Nationale d’Action Sociale des personnels de la police nationale). Petit, voulant protéger ses intérêts et ceux de ses collaborateurs, les a avisés de l’enquête en cours (blanchiment de fraude, trafic d’influence) et a divulgué des informations relevant du secret judiciaire. On peut donc ajouter ici le détournement de la justice et de protection d’activités illégales.