Coupures à la Sûreté du Québec : Des Conséquences Importantes
Dans un souci d’atteindre l’équilibre budgétaire provincial le plus rapidement possible, les mesures d’austérité mises en place par le gouvernement Couillard n’épargnent personne, pas même les policiers. En effet, le 25 février 2015, Martin Prud’homme, directeur général de la Sûreté du Québec, a convoqué les hauts gradés de l’organisation à l’École nationale de police du Québec (ENPQ) pour leur apprendre la mauvaise nouvelle : la SQ verra son budget annuel diminué de 30 millions de dollars sur un budget de 900 millions, ce qui est non négligeable. On parle ainsi d’une restructuration majeure de l’organisation qui s’étendra jusqu’en 2020.
L’une des mesures qui sera entreprise afin de parvenir à cette fin sera l’abolition d’environ 150 postes d’officiers. Le tout se fera probablement par attrition, c’est-à-dire que les postes de ces officiers ne seront pas comblés lorsque ceux-ci prendront éventuellement leur retraite. Cette mesure pourrait aussi toucher les employés civils travaillant au sein de la SQ.
Une deuxième mesure majeure dont il faut parler est le gel d’embauche de nouveaux agents pour une durée indéterminée. Le service de recrutement de la SQ a fait parvenir une lettre aux étudiants en techniques policières du Cégep Garneau leur apprenant la mauvaise nouvelle. La Sûreté du Québec engageant normalement 200 nouveaux policiers patrouilleurs par année est l’un des plus importants recruteurs de policiers finissants de la province. Cette situation sème bien sûr la déception et l’inquiétude chez les étudiants, autant à l’ENPQ que dans les cégeps :
« On a reçu un courriel explicatif concernant le gel des embauches. Tous ceux qui n’étaient pas dans le processus de la sûreté ne peuvent plus envoyer leur candidature à la Sûreté du Québec. C’est sûr que ça a fait une onde de choc ici à Nicolet »
– Mathieu Paradis, étudiant à l’ENPQ
Dans cet article, un étudiant finissant en techniques policières n’est guère plus optimiste :
« Ce qui va arriver c’est certain, c’est que comme il y a moins de postes à la Sûreté, il y a beaucoup de gens qui vont postuler au niveau des municipalités qui ne l’auraient peut-être pas fait. Donc, c’est certain qu’en général, l’embauche va être diminuée globalement »
-Étudiant finissant en techniques policières au Cégep Garneau
Un document interne préparé par l’État-major de la SQ qui propose 32 mesures de contrôle des dépenses a été obtenu par Radio-Canada. Cet article de Radio-Canada en énumère quelques-unes, dont « limiter le temps supplémentaire et la formation, réduire les acquisitions d’équipements et les frais de déplacement, appliquer un gel sur les dépenses pour la police de proximité, réduire le parc automobile, favoriser le partage des ressources entre les unités stratégiques, réévaluer les baux de location dans le but d’optimiser l’utilisation de l’espace » etc.
Selon cet article du Journal de Montréal, la SQ procédera aussi à une refonte des 10 districts actuels de la SQ et optera pour la création de quatre ou cinq régions encore plus élargies. Certains postes de commandants de district risquent donc de disparaître. Également, on parle de réduire le nombre d’escouades régionales mixtes de lutte au crime organisé.
Le site officiel de la Sureté du Québec ne fait présentement aucune allusion aux changements draconiens en cours.
L’attitude face à ces compressions importantes n’est cependant pas la même d’un acteur à l’autre. Ainsi, selon un ex-officier qui a travaillé pendant 26 ans au sein de la SQ, des coupures dans la bureaucratie de l’organisation sont possibles. On peut entendre ses impressions dans cet article publié par Radio-Canada :
« À l’heure actuelle, il y a un officier pour dix membres. Si on compare à la police provinciale de l’Ontario ou à la GRC, il y a trop d’officiers pour l’encadrement. Les officiers qui sont près de la retraite vont être invités à la prendre. Le nombre d’officiers dans les prochaines années va diminuer de moitié à mon avis »
– Michel Oligny, ex-officier à la SQ
Pour sa part, la ministre de la Sécurité publique du Québec, Lise Thériault, s’est contentée de rassurer la population, arguant qu’il n’y aura aucun compromis sur les questions de sécurité. Cependant du côté de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), on pense plutôt le contraire :
« Ce genre de restriction budgétaire-là que la Sûreté est en train de faire, à long terme, on ne pourra pas tenir le fort. Il va arriver des ratés. Si demain matin, et je n’aime pas utiliser cet exemple-là, mais s’il arrive un autre Mégantic, excusez-moi mais on n’y arrivera pas. »
-Pierre Veilleux, président de l’APPQ
Avec des propos aussi peu rassurants, la grande question qui demeure est celle-ci : est-ce que la sécurité des Québécois sera compromise par ces mesures? On a beau dire qu’on coupe dans les postes d’officiers, on n’engagera pas plus de patrouilleurs pour les mois à venir. Ce gel d’embauche signifie-t-il donc une baisse de la présence des policiers sur nos routes et nos quartiers? Dans quelle mesure les effectifs sur le terrain seront-ils affectés par ces coupures? Toutes ces questions demeurent sans réponse pour l’instant.
Les services de police, contrairement à d’autres institutions, sont particulièrement à la merci des perturbations sociales, des manifestations et des événements marquants qui peuvent survenir à tout moment. Avec l’insatisfaction actuelle des Québécois face au régime d’austérité du gouvernement, beaucoup de manifestations seront à prévoir pour les prochains mois, ce qui forcera bien sûr la SQ et les services municipaux à assurer une présence sur le terrain. Dans ce contexte social houleux, la SQ réussira-t-elle à atteindre son objectif de compressions? Ça reste à voir…
Selon le politologue et sociologue Jean-Louis Loubet Del Bayle au deuxième chapitre de Traité de sécurité intérieure (2007), nous vivons présentement dans une société profondément individualiste, où les inhibitions sociales de chacun sont réduites. Nous sommes dans l’ère du « je fais ce qui me plaît, peu importe l’opinion des autres ». Une telle philosophie sociale amène ainsi la police à être davantage demandée sur le terrain, car les mécanismes de « régulation morale » (comme l’autodiscipline ou la morale) des citoyens sont devenus restreints.
En effet, avant l’industrialisation, la population était davantage rurale et chacun ne bénéficiait pas de l’anonymat que procure une grande ville pour commettre des crimes. Des contrôles sociaux externes informels et communautaires (donc autres que la police) étaient beaucoup utilisés dans les villages : on parle ici de de commérages, la rumeur ou de mises en quarantaine. Le laisser-aller actuel de la population face aux agissements des autres fait donc en sorte que le maintien de l’ordre a plus que besoin d’être institutionnalisé. Le Québec retournera-t-il à ces bon vieux moyens de maintien de l’ordre communautaire qui ont fait leur preuve au fil des siècles ou restera-t-il plutôt dépendant des forces policières pour assurer la paix? Les paris sont ouverts!