Un policier du SPVM impliqué dans un réseau de paris illégaux
Le 15 janvier dernier, une importante opération policière a permis de démanteler un réseau de paris illégaux lié au crime organisé italien. Douze personnes ont été arrêtées, dont Natalino Paccione, la tête dirigeante du réseau, et son bras droit, André Thibodeau, qui compte 25 ans d’expérience auprès du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
André Thibodeau était superviseur au poste de quartier 33 situé dans Parc-Extension. Selon son entourage, il disposait de sources dans les milieux grec et italien. Il aurait déjà travaillé au service de renseignement du SPVM, mais il n’est toutefois pas possible de préciser s’il aurait pu dévoiler des informations au crime organisé.
Le policier est soupçonné de mener des activités illégales, y compris pendant ses heures de travail. Il a été suspendu de son emploi, sans solde. Les infractions auraient été commises entre août 2012 et le 2 janvier dernier.
« On a démantelé un réseau de bookmaking qui était relié au crime organisé traditionnel italien », a déclaré le commandant Ian Lafrenière, responsable du service des communications du SPVM. Il ajoute : « Quand il y a des cas comme celui-là, il ne faut pas se cacher, il faut agir, et c’est ce qu’on a fait aujourd’hui. »
Les douze suspects feront face à des accusations de complot et de paris illégaux. Natalino Paccione et André Thibodeau seront également accusés de gangstérisme. Ce dernier verra ses accusations être alourdies pour entrave à la justice et abus de confiance.
L’agent de la paix a été dénoncé par ses collègues de travail. Ce sont des informations provenant de collègues policiers selon lesquelles André Thibodeau avait de mauvaises fréquentations qui ont mené à l’enquête, il y a deux ans. L’opération d’envergure est menée par la Division des affaires internes du SPVM, chargée de mener des enquêtes concernant toute allégation d’infraction ou d’acte criminel impliquant le personnel du service de police. Le commandant Ian Lafrenière rajoute : « Ça prouve une chose, c’est qu’il n’y a pas d’omerta dans la police. »
Le SPVM, La Gendarmerie royale du Canada (GRC), l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), la Sûreté du Québec (SQ) ainsi que les services de police des villes de Laval, de Québec et de Blainville ont participé à l’opération. Celle-ci a permis de récupérer une importante somme d’argent, certains partis organisés atteignaient 125 000 $.
Ce cas laisse croire que la déviance policière est bien contrôlée et qu’elle ne passe jamais entre les filets de la justice. Selon Jones (2003, Handbook of Policing), on reconnaît sept standards minimaux auxquels on peut s’attendre d’une police en contexte démocratique. Le sixième d’entre eux est la correction, qui se définit par le fait que l’organisation policière et/ou ses organismes de contrôle devraient pouvoir punir les policiers fautifs et réparer leurs fautes. Or, ces standards semblent être normatifs, c’est-à-dire qu’ils sont liés à ce qu’on aimerait que la police fasse et non à ce qui est empirique et observable. Le standard de correction est-il réellement respecté? Les citoyens sont-ils protégés contre la déviance policière?
Tout d’abord, selon Durkheim, la déviance se définit par toutes les actions qui, en apparence, sortent des normes. Selon Maurice Punch, la déviance policière dépasse de beaucoup la simple corruption. Elle inclut :
- Corruption typique : accepter quelque chose en violation de ses devoirs; faire ou ne pas faire une chose en échange d’un cadeau ou rémunération.
La commission Knapp (1967) avait distingué deux formes de corruption :
- Les « herbivores », ceux qui prennent de petits cadeaux sans grande importance, mais de façon systématique. Comme ce cas-ci, par exemple.
- Les « carnivores », ceux qui font d’énormes coups ou mettent en place des systèmes d’extorsion majeurs
D’autres formes de corruption se sont ajoutées :
- Corruption de l’autorité : le policier accepte des cadeaux sans échange direct
- Commission : le policier reçoit une commission en référant des clients à une entreprise – hôtel, remorquage, etc.)
- Vol : le policier conserve les résultats d’une fouille
- Extorsion : demander une compensation sous la menace de verbaliser ou d’arrêter
- Protection : laisser faire des activités illégales
- Faire disparaître : « arranger » des procédures à l’avantage du payeur
- Mauvaise conduite : l’agent viole les règles internes de l’organisation
- Criminalité policière : l’agent profite de sa position pour violer la loi. Un exemple ici.
- La prédation : exploiter des individus ou des entreprises
- La stratégie : utiliser des moyens illégaux ou contraires à la déontologie pour faciliter le travail policier, abus de la force
- Le détournement de la justice : cacher des actes illégaux commis pour augmenter l’efficacité du travail policier
Dans le cas d’André Thibodeau, sa déviance se définit par la protection, soit laisser faire des activités illégales dont il était lui-même participant, et par la mauvaise conduite, c’est-à-dire la violation des règles internes de l’organisation policière.
Comment s’assurer que les policiers font leur travail comme la population le désire et en accord avec le droit?
Au Canada, le Code criminel est de responsabilité fédérale, mais chaque province a sa propre loi de police et règlemente les services policiers sur son territoire, sauf ceux de la GRC. Au Québec, la Loi sur la police mentionne à l’article 119 : « Est automatiquement destitué tout policier ou constable spécial qui a été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit et par suite d’un jugement passé en force de chose jugée, d’un acte ou d’une omission visé au paragraphe 3° de l’article 115, poursuivable uniquement par voie de mise en accusation. » Les actes précisés à l’article 115 sont ceux que le Code criminel décrit comme une infraction.
De plus, au Canada, plusieurs modèles surveillance des activités policières peuvent être classés selon leur mode, style et forme. Ces activités visant à contrôler les organisations policières publiques peuvent se nommer « gouvernance de la police ». Dans le cas de l’enquête qui a permis de reconnaître André Thibodeau coupable, le mode de surveillance était surtout un mode de redevabilité, c’est-à-dire une activité réactive, déclenchée par un incident. Ici, l’incident serait la dénonciation des mauvaises fréquentations par ses collègues de travail. Le style de surveillance est administratif, puisqu’il implique des ordres et l’obéissance des membres. La forme de la surveillance était interne, puisque c’est l’organisation policière qui surveillait un de ses membres.
Compte tenu de toutes ces lois et de ces règlements prévus pour surveiller la police, la population peut facilement se sentir rassurée, puisque la déviance policière semble être surveillée de près et ceux qui sont corrompus semblent être une exception. Comme l’a dit le commandant Ian Lafrenière, « Ça prouve une chose, c’est qu’il n’y a pas d’omerta dans la police. » Or, n’y a-t-il vraiment pas de loi du silence dans la police? Il faut garder à l’esprit que dans bien des cas de déviance, ce ne sont seulement que d’autres policiers qui seront témoins de l’acte et que ceux-ci risquent peu de porter plainte contre leur collègue comme ce fut le cas pour André Thibodeau. Je crois donc que ce sont les cas les plus graves, comme celui-ci, qui risquent réellement d’être dénoncés, parce que si toutes les petites infractions des policiers étaient mises au grand jour, la population risquerait de considérer la police inutile, puisqu’elle est censée combattre le crime et non pas le créer.