La répression sanglante à Kinshasa

Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), s’est vu criblée de violence suite à des manifestations contre le gouvernent au pouvoir.

« Kabila dégage ! »

Le président Kabila, en poste depuis 2001, souhaite prolonger son mandat dans des conditions loin d’être démocratique. Samedi 17 janvier 2015, une loi électorale a été adoptée par l’Assemblée nationale. Cette loi aurait pour conséquence un report de l’élection présidentielle prévue en 2016 et entraînerait donc le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila au-delà de son mandat. Cela serait une grave atteinte à la Constitution, car rappelons le, la loi fondamentale en RDC verrouille le nombre de mandats présidentiels à deux. Cette limitation ne serait donc pas en faveur du président Kabila, qui est dans son deuxième mandat.

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Face à ce projet de révision de la loi électorale, des étudiants et des jeunes ont manifesté, principalement dans la capitale en scandant « Kabila dégage ! ».

Des pratiques litigieuses

Suite à l’adoption par l’Assemblée Nationale de ce texte, des émeutes ont eu lieu dès le 19 janvier avec une répression sanglante. En réponse aux émeutes, les forces de l’ordre sont intervenues de manière radicale. En effet de nombreuses manifestations ont dégénéré en violences après que des membres de la Police nationale congolaise et de la Garde républicaine, le service de sécurité de la présidence, eurent tiré sur la foule des cartouches de gaz lacrymogène et des balles réelles. D’autre part, les manifestants ont lancé des pierres sur les forces de sécurité et ont pillé et incendié des boutiques et des bureaux occupés par des personnes considérées comme des partisans du gouvernement.

Selon Human Rights Watch, le gouvernement de la RDC a eu a eu recours à la force de manière illégale et excessive pour réprimer les manifestants.

« Les forces de sécurité congolaises ont tiré sur des foules de manifestants avec des conséquences mortelles », a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior sur la RDC à Human Rights Watch. « Les citoyens devraient pouvoir exprimer leur point de vue et manifester pacifiquement sans craindre d’être tués ou arrêtés. »

Human Rights Watch a aussi constaté des cas où la police ou les militaires de la Garde républicaine ont emporté les cadavres des personnes tuées, dans une apparente tentative de supprimer les preuves des tueries. Les forces de la Garde républicaine ont également tiré sans distinction dans un hôpital, blessant gravement trois personnes.

Les dirigeants de l’opposition ont incité les militants à se rassembler dès le 19 janvier contre les propositions de révision de la loi électorale. Ils les ont incités à descendre dans les rues pour « sauver notre nation en danger » et à appeler Joseph Kabila à quitter la présidence à la fin de son mandat, en 2016.

Suite aux déclarations de l’opposition, dans la soirée avant le début de ces manifestations, les autorités gouvernementales ont détenu les dirigeants de l’opposition aux sièges de leurs partis à Kinshasa. Au cours des manifestations d’autres leaders de l’opposition ont été arrêtés, notamment à Goma et à Kinshasa. Dans la matinée du 20 janvier, les autorités ont interrompu toutes les communications par Internet et par message texto à Kinshasa et dans d’autres régions, une manœuvre tout de même restrictive pour justement empêcher ces manifestations.

En outre, ces mesures visant à arrêter arbitrairement des dirigeants de l’opposition démontrent une tentative apparente de les réduire au silence, ce qui ne semble pas avoir eu un effet pacifiste …

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Le bilan douloureux

La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a accusé la police congolaise d’avoir tué 42 personnes en trois jours en réprimant des « manifestations pacifiques » à Kinshasa et Human Rights Watch (HRW) parle d’au moins 40 tués, dont 21 sous les balles des forces de l’ordre, ce qu’a fermement contesté le gouvernement. La FIDH a affirmé :

« Comme cela est malheureusement devenu récurrent en RDC, les forces de sécurité ont à nouveau fait preuve d’une réaction totalement excessive et disproportionnée, en tirant à balles réelles sur des manifestants »

Le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, a récusé le bilan de la FIDH. « Nous avons douze morts, dont un policier : trois le premier jour, huit le deuxième et un hier », a-t-il affirmé.

Le chef de la police nationale congolaise, le général Charles Bisengimana, a affirmé le 23 janvier à Human Rights Watch que la police avait ouvert une enquête sur les circonstances exactes de ces décès et que le gouvernement réprimandait cet excès de violence que l’on pourrait qualifier de « dérapage ».

Rappelons-le, selon les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application de la loi, les forces de sécurité doivent recourir autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force en dernier ressort. Si le recours de la force est incontournable et uniquement dans ce cas, les autorités doivent agir avec une certaine retenue et de manière proportionnée envers la gravité de l’infraction. Lors de blessures graves ou de décès une enquête doit être effectuée par un organisme qualifié avec un rapport détaillé remis aux autorités administratives ou judiciaires compétentes.

Entre autres les forces de sécurité ont comme mandat le maintien de la paix et de l’ordre, un mandat qui a été lourdement bafoué par les autorités congolaises.

Face à ces principes, les autorités congolaises devraient donc engager des poursuites contre les responsables de ces meurtres et d’autres exactions ainsi qu’enquêter sur les coups de feu tirés le 21 janvier à l’Hôpital général de Kinshasa.

Les dirigeants de partis politiques devraient raisonnablement freiner les actes de violences et ne pas inciter les gens à commettre des actes qui engendrent de l’animosité. Selon le président de l’Assemblée congolaise « il y a eu dérapage, aucune autorité sensée ne peut donner l’ordre pour qu’on tire sur son peuple ».

Une mobilisation internationale

Quoi qu’il en soit, des manifestants sont morts, et une loi permettant à un chef d’État de rester au pouvoir plus longtemps que prévu a menacé d’être adoptée. Cela renforce le fait que le président Joseph Kabila ne soit pas véritablement populaire des citoyens congolais, certains lui reprochent surtout son inaptitude à gérer les milices  qui déchirent le pays de leurs violences depuis quelques années.

Malheureusement les médias font peu cas de la situation dramatique en RDC. Bien heureusement la communauté congolaise internationale tente de se mobiliser et de se faire entendre. Le samedi 24 janvier une marche pour le Congo a été organisée à Paris. La mobilisation se fait notamment avec la diffusion sur les réseaux sociaux des slogans « Il ne faut pas forcément être congolais pour compatir » ou encore « Je suis congolais » comme une résonance au « je suis Charlie », devenu symbole de la lutte en faveur de la liberté d’expression.