Des policiers chinois à Paris, le pouvoir du symbole
En mai 2014, Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur français a annoncé la mise en œuvre d’une mesure particulière pour augmenter la sécurité des touristes dans la capitale. Elle consistait en l’arrivée d’une dizaine de policiers chinois, dépêchés pour l’été afin de rassurer leurs touristes nationaux. Abandonnée faute d’expertise, la nouvelle a toutefois surpris la communauté internationale et française. Quels sont les tenants et aboutissants d’une telle mesure ?
Capitale emblématique, Paris jouit d’une réputation intemporelle de « plus belle ville du monde ». Les touristes se font nombreux à l’été. Cependant, depuis quelques années, le paysage du tourisme parisien change. Dans un contexte d’expansion économique asiatique, nombreux sont les nouveaux riches chinois à visiter la capitale. Ces derniers transportent sur eux des quantités importantes d’euros liquides et sont devenus la proie principale des pick pockets et de la petite délinquance. Avec les scandales qui l’ont accablée ces dernières années[1], Paris acquiert une réputation d’insécurité qui affecte son attractivité alors que l’expansion du tourisme mondial profite à d’autres destinations.
L’enjeu est de taille pour la France qui tire une partie importante de ses revenus du tourisme. Dans un contexte de crise, le gouvernement redouble de mesures pour maintenir la renommée de la capitale et l’arrivée de touristes. Avec 1,4 millions de clients chinois en 2013, la clientèle asiatique constitue la plus grande part du revenu du tourisme. Annoncé par Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, le plan de mesure pour l’été 2014 prévoyait l’arrivée d’une dizaine de patrouilleurs chinois pour rassurer leurs nationaux et faciliter les relations des touristes avec la police française.
Cette mesure est surprenante à bien des égards. Tout d’abord, l’autorisation de la présence d’une police non-européenne sur le sol français constitue un précédent remarquable. Depuis 2008, la police française a pris l’habitude de patrouiller aux côtés d’agents allemands, belges et anglais. La présence de policiers européens avait pour but d’agir sur la criminalité. En effet, il avait été remarqué que la petite délinquance (signature de fausses pétitions, pick pockets) était le fait d’enfants mineurs roumains. Un plan de mesures mis en œuvre pour l’été 2013 prévoyait l’arrivée de policiers roumains pour aider à l’identification et à l’arrestation des mineurs incriminés. Le but de leur présence était bien d’agir sur la criminalité en arrêtant les délinquants.
Or, comme l’affirme Bernard Boucault, préfet de police de Paris, la mesure de 2014 ne prévoyait aucune compétence policière aux agents chinois. Dépourvus de pouvoir, l’efficacité de leur présence reposait uniquement sur l’importance de leur symbole. Réputés pour leur fermeté, les policiers chinois auraient contribué à dissuader les pick-pockets d’agresser des touristes asiatiques. Leur présence aurait altéré l’environnement des délinquants, habitués des polices européennes dont ils connaissent les routines et méthodes.
Surtout, le but premier d’une patrouille policière asiatique est de rassurer les touristes chinois qui envisagent un voyage à Paris. Il s’agit avant tout d’agir sur le mental des touristes potentiels. L’annonce de la présence d’uniformes familiers vise à lutter contre un sentiment préalable d’insécurité. L’expérience vécue à Paris n’en serait que plus positive. La mesure envisagée par le gouvernement est davantage économique que sécuritaire et intéresse moins la réduction de la criminalité que le maintien des performances touristiques de la capitale. Si beaucoup ont vu dans cette mesure un échec de la police de Paris à assurer la sécurité de ses touristes, qu’ils ne s’y trompent pas. Il n’était nullement prévu que la police chinoise jouisse d’un quelconque usage de la force ou de la coercition envers les délinquants. Au contraire, la police chinoise aurait été utilisée à des fins touristiques et commerciales ; pour assurer l’attractivité de la capitale et non conduire à une baisse de sa criminalité.
A l’aube de l’été, la mesure a été abandonnée en juin 2014, un mois après qu’elle ait été annoncée. Bernard Boucault explique ce renoncement par la complexité des questions techniques, administratives et organisationnelles, difficiles à régler en un laps de temps si court. Rien n’est dit d’une nouvelle tentative de collaboration pour l’été 2015.
Un temps envisagée, cette mesure témoigne bien de la prégnance de l’image de la police dans l’imaginaire collectif et dans le sentiment des touristes, plus enclins à envisager un voyage là où ils se sentiront encadrés. Il semble bien que l’impact de l’image de la police dans les consciences soit encore efficace, garante d’ordre, de sûreté… et de commerce.
[1] : Incidents du Trocadero (vitrines cassées, fumigènes, jeunes hommes ivres sur la voie publique), pillage d’un bus de touristes après une victoire du PSG en mai 2013 ; Pillage de touristes chinois à leur arrivée à l’aéroport de Roissy la même année