L’utilisation du Taser par la GRC en baisse : le décès de Robert Dziekanski en cause?

En novembre dernier, un article du journal La Presse, écrit par Mme Annabelle Blais (article), avait comme titre : « Importante diminution de l’utilisation du Taser au sein de la GRC ». À la suite de cet article, je me suis posé les questions suivantes : que signifiait l’importance de cette diminution, comment cette diminution a-t-elle été mesurée et est-ce que l’affaire Robert Dziekanski a pu avoir une influence sur l’importance de cette baisse ?

Les agents de la GRC sont des agents de l’État, agissant comme des agents de la paix à titre de policiers et sont donc autorisés et en droit d’utiliser la force de coercition. L’utilisation de cette force coercitive passe par tout un arsenal de possibilités allant de techniques légères à mains nues à l’usage d’une arme à feu. Le choix de la technique ou de l’arme employé sera déterminé par le policier qui intervient, et ce en se basant sur le « Modèle national de l’emploi de la force », modèle privilégié par la GRC.

Modèle nationale emploi de la force

D’ailleurs, les policiers de la province de Québec tant les policiers municipaux (comme le SPVM, le SPVQ, etc.) que les policiers provinciaux (Sûreté du Québec) qui utilisaient auparavant le « Tableau de la problématique de l’emploi de la force » utilisent maintenant le même modèle afin d’assurer une standardisation avec le reste du Canada. L’utilisation de l’arme à impulsion (AI), communément appelée « Taser » fait partie des armes intermédiaires tout comme le bâton télescopique ou bien l’aérosol d’oléorésine de capsicum (le poivre de cayenne). L’utilisation d’une arme intermédiaire a pour but de ne pas causer la mort ni de blessures graves.

Selon les données de Mme Blais, données qu’elle a obtenues grâce à la Loi de l’accès à l’information, les personnes ayant subi les décharges d’un « Taser » étaient de 216 personnes annuellement pour l’année 2013 comparativement à 549 (nombre total incluant l’effet paralysant, le mode sondes et l’effet paralysant et le mode sondes) pour l’année 2008. Donc une baisse de l’utilisation avec une décharge électrique de plus de 50% en 5 ans. Il est intéressant de noter que pour cette même année, selon le « Rapport annuel 2008 de la GRC sur l’utilisation des armes à impulsions » y a eu 538 personnes pour qui l’AI a été utilisée comme présence ou mise en garde seulement. Le nombre total d’utilisations pour l’année 2008 se chiffrant à 1087. Malheureusement, les données pour l’année 2013, en ce qui concerne les cas de présence ou de mise en garde seulement, n’étaient pas disponibles. Le dernier rapport émis par la GRC est un rapport trimestriel de 2010 et il se termine en date du 30 septembre. La GRC n’ayant plus fait de rapport annuel par la suite, la seule façon pour obtenir de l’information étant de passer par la Loi de l’accès à l’information. Cependant, le nombre de cas était de 398 pour l’année 2009 et de 352 pour les 3 premiers trimestres (118, 131 et 103) de 2010. Il n’est pas possible de se prononcer de façon exacte, par contre avec en moyenne 117,3 cas par trimestre, la projection annuelle se dirigeait vers environ 469 cas, donc une augmentation par rapport à l’année précédente. Il est d’autant plus important de préciser en quoi consiste exactement l’utilisation d’une AI dans les rapports annuels de la GRC, car la décharge seulement n’est pas le seul indicateur de son utilisation. En regardant le graphique de l’année 2008 (selon le type de déploiement), il est possible d’identifier les indicateurs suivants : la présence ou la mise en garde seulement, l’effet paralysant, le mode sondes et l’effet paralysant et le mode sondes.

Type de déploiement

Il est difficile de parler de l’utilisation du « Taser » et de ne pas mentionner l’affaire Robert Dziekanski. M. Dziekanski est décédé à la suite d’une intervention policière de la GRC, à l’aéroport de Vancouver au mois d’octobre de l’année 2007, où les agents de la GRC ont utilisé le « Taser ». L’affaire a été très médiatisée et d’ailleurs des agents, membres de la GRC, ont dû faire face à des poursuites de parjures devant les tribunaux. En réponse à ce décès, il y a eu, en juin 2008, un « Rapport du Comité permanent de la sécurité publique et nationale » sous la présidence du député Garry Breitkreus. Ce rapport est intitulé : « Étude sur l’arme à impulsions électriques TaserMD ». Le comité a émis 13 recommandations pour donner suite à cette étude. Une des recommandations était de faire passer l’AI à une « arme d’impact » plutôt que d’être une « arme intermédiaire ». Cette recommandation n’a jamais été appliquée, l’AI étant toujours considérée comme une « arme intermédiaire ». On reproche également des lacunes ou niveau du maniement du « Taser » ainsi que de l’information disponible sur les effets de son utilisation, comme le potentiel des blessures, en autre. Une place importante est également donnée à toute l’importance de la formation et des protocoles à mettre en place lors d’interventions avec des individus ayant des problèmes de santé mentale ou vivant une crise psychologique ponctuelle.

Est-ce que le décès de R. Dziekanski est en cause dans la baisse de l’utilisation du « Taser »? Il n’est pas possible, selon moi, de se prononcer directement, sur cet aspect. Une des principales raisons est qu’il n’y a pas eu d’étude sur le sujet et il faudrait pratiquement le demander directement aux agents de la paix qui en font l’utilisation. Par contre, on peut supposer que toutes les questions soulevées dans l’étude,en référence à ce décès, ont suscité de nouvelles mesures, notamment au sein de la GRC, en ce qui concerne les règles de conduite et l’information concernant l’utilisation des AI. Une meilleure formation ne peut pas nuire à une meilleure utilisation, cependant une meilleure utilisation ne veut pas dire automatiquement une baisse de l’utilisation. Il faut se demander aussi si c’est le décès de R.Dziekanski qui est directement responsable de la baisse de l’utilisation du « Taser » par son importante médiatisation, les accusations des agents dans le système de justice pénale et l’opinion publique qui en a résulté ou si c’est le rapport à propos de ce décès ou une combinaison de tous ces facteurs.

En conclusion, lorsque nous sommes confrontés à des statistiques, ici la baisse de l’utilisation du « Taser » par les agents de la GRC, il est de notre devoir d’être curieux et d’aller voir un peu plus loin que simplement la statistique. Il est primordial de bien comprendre en quoi consiste la mesure de la statistique et surtout de savoir quels ont été les indicateurs utilisés pour arriver à cette mesure et, en terminant, se demander si cette mesure a été ou a eu une influence sur d’autres événements. Les agents de la paix ont des pouvoirs importants, dont celui de pouvoir utiliser la force nécessaire lors d’interventions, mais avec l’obtention de tels pouvoirs vient la notion de devoirs.