« Swatting » quand la fiction devient réalité
Suite à un appel logé au 911 par un jeune homme affirmant avoir tué sa mère, son frère et être prêt à tuer d’autres personnes ce mardi 22 avril, une soixantaine de policiers, armés jusqu’aux dents, sont dépêchés en banlieue de Long Island, prêts à intervenir. Parmi eux, des experts membres de l’équipe du SWAT (Special Weapons And Tactics) qui s’apprêtent à faire irruption dans la maison et un hélicoptère qui surveille l’opération. Dehors, un jeune homme effrayé par la scène s’adresse aux policiers croyant que sa maison est en feu. Une femme sort de la maison en courant : « que se passe-t-il? Les policiers sont perplexes, ils tentent d’expliquer brièvement la situation aux deux personnes. Il chercher aussi à savoir où est le suspect et où sont les victimes? La femme clame qu’il s’agit de sa maison, que le jeune garçon est son fils et que son plus vieux est à l’intérieur, qu’il joue à un jeu, « Call of Duty ». Rapidement, les policiers constatent qu’ils se sont fait avoir, que l’adolescent a plutôt été victime de « swatting » par un cyber adversaire rusé et mal intentionné. (Source : lemonde.fr, 2014/04/25)
Le « swatting » est une tendance assez récente, qui gagne en popularité aux États-Unis, surtout auprès des hackers et des amateurs de jeux vidéo. On en recense en moyenne 400 cas par année et les victimes sont la plupart du temps des « gamers » même s’il arrive que des vedettes se fassent aussi piéger. La manœuvre consiste à tromper les services 9-1-1, en leur faisant état d’une situation d’urgence créée de toutes pièces, basée sur de fausses informations et nécessitant l’intervention immédiate des services de secours. Il existe une grande variété de ruses pouvant être mises en scène, à commencer par le faux rapport de police incriminant une personne innocente en vue de la discréditer, jusqu’au déploiement d’escouades d’urgence et à l’évacuation de résidents, de commerces ou d’écoles environnantes. Bref les limites des défis liées au « swatting » sont celles de l’imagination et ceux qui s’y intéressent le plus, ont beaucoup d’inspiration ce qui rend parfois le leurre extrême. En fait, pour eux, le canular se calcule en terme d’ampleur du dérangement et des ressources déployées ou mobilisées : plus l’intervention est d’envergure, plus elle implique d’acteurs (policiers, ambulanciers, pompiers, escouades ou unités spéciales) et mobilise de moyens (camions, hélicoptères), plus la bravade est considérée comme étant une réussite.
Il semble que l’élément déclencheur de ce type de bravade soit la frustration liée au fait que le jeu soit gagné par un autre participant, un adversaire. À partir de ce moment, le jeune en colère se met à chercher différentes façons d’obtenir les données personnelles de l’autre jeune ou toute autre information pertinente pouvant lui permettre d’identifier la personne et de la localiser. Suite à l’obtention de ces informations, il ne devient ni plus ni moins qu’un jeu d’enfant de se faire passer pour l’autre personne et de e venger. Le principal problème avec ce type de crime est qu’il coûte une fortune à l’État en plus de monopoliser de nombreuses ressources qui ne sont plus en mesure de répondre à l’appel d’une réelle situation d’urgence. Les déplacements nécessaires au bon déroulement des opérations peuvent coûter jusqu’à 10 000 $ sans compter les victimes qu’ils peuvent faire. Pour ces raisons, le « swatting » est criminalisé dans plusieurs états et considéré comme un crime grave dont les auteurs peuvent se voir forcer de rembourser entièrement les frais encourus par l’opération. En ce qui concerne les autres peines, on parle de possibilité d’entre 3 et 5 ans de prison avec ou sans amendes en plus des frais liés à l’intervention. Dans les cas où il y a eu victime, la peine est encore plus sévère, pouvant varier entre 10 et 15 ans en plus des frais connexes.
Ce nouveau type de crime faisant appel à différents outils technologiques n’est pas sans nous rappeler l’envers de la médaille de cette « société à sécurité maximale » auquel Gary Marx faisait référence. La société de dossiers dans laquelle nous vivons nous oblige presque à disperser nos données personnelles un peu partout facilitant grandement le travail de personnes malveillantes. Toutes ces bribes d’informations personnelles que nous échappons peuvent facilement devenir compromettantes et nous vulnérabiliser. Dans cette société poreuse où la transparence est une coutume et où il devient de plus en plus difficile de conserver pour soi ses données personnelles, nous nous exposons de plus en plus à la victimisation. Nous ne sommes plus en mesure de nous protéger nous-mêmes, car nous avons perdu le contrôle de nos propres informations. Je crois que le « swatting » est un bel exemple de notre exposition social et du fait que les frontières entre privé et public s’effritent de plus en plus. Le développement des télécommunications a permis aux gens de se rapprocher à un point tel que l’anonymat n’est plus envisageable. Même en jouant seul à un jeu en ligne dans notre salon, nos adversaires, souvent à des centaines de kilomètres, sont finalement assis à côté de nous.