Manifestation du 3 avril 2014 : L’utilisation réciproque de la police et des médias
Le jeudi 3 avril 2014, à Montréal, il y a eu une manifestation qui fut déclarée illégale avant même qu’elle débute en vertu du règlement municipal p-6 qui exige que l’itinéraire soit divulgué aux autorités. Cette manifestation a été instiguée par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) afin de signifier leur point de vue à propos des mesures d’austérité. Ils ont utilisé le web 2.0 (médias sociaux) pour rassembler le plus de personnes possible afin d’avoir un plus grand impact sur le gouvernement qui allait être élu quelques jours plus tard. Ils ont réussi à rassembler plusieurs milliers de personnes qui ont envahi les rues du centre-ville.
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a lui aussi utilisé les médias sociaux[1] pour informer les citoyens au sujet des endroits à éviter, les conséquences de la manifestation, telles que le détournement temporaire des arrêts d’autobus, et sur la situation de façon générale.
Pour ce qui est des médias, ils n’ont pas manqué l’occasion de couvrir l’évènement, car depuis le « printemps érable », les manifestations étudiantes ont la cote pour capter l’intérêt du public. Parmi les informations qui ont circulé, il y avait 6 arrestations ainsi que la personne de 71 ans qui a été blessée à la tête lors d’une charge policière suite à l’avis de dispersion.
Le SPVM a aussi utilisé les médias plus conventionnels pour solliciter l’aide du public pour retrouver le vélo du septuagénaire blessé par la manœuvre de dispersion policière et aussi pour s’assurer de garder une image positive aux yeux du public. Ces deux aspects sont très caractéristiques de l’utilisation médiatique faite par les policiers : pour solliciter l’aide du public et pour mousser leur image. Un exemple de ce dernier aspect est lorsque les corps policiers se servent des médias pour nous présenter leurs grosses saisies de drogue (ou de tout autre produit illégal) pour montrer leur efficacité.
Il faut noter que les messages transmis par les policiers aux médias sont faits non plus par des experts du type de crime en question, mais plutôt par des experts en relations : des relationnistes. Pour ce qui a trait à cette manifestation, ce fut Ian Lafrenière qui eut la tâche de répondre aux questions des médias. Le fait d’employer des experts attitrés à la communication au sein du SPVM et d’autres services de police n’est pas sans raison. En effet, cela leur permet de mieux filtrer l’information diffusée dans les médias afin, d’une part, de garder une image positive aux yeux du public en montrant qu’ils sont en maîtrise de la situation et, d’autre part, d’empêcher la sortie d’informations qui pourraient nuire à leurs enquêtes lorsqu’il y a lieu.
La réalité des relations média-police
Le désir des médias d’obtenir tout rapidement sur la criminalité est dû à la forte compétition et à l’aspect économique qui est relié aux cotes d’écoute. En effet, contrairement à ce que plusieurs pensent, le produit des médias est leur public : ils « vendent » les cotes d’écoute pour obtenir de l’argent de compagnies voulant faire de la publicité. Cette commercialisation médiatique à plusieurs effets, dont la perpétuelle quête d’un plus grand nombre d’auditeurs. Pour y parvenir, les médias utilisent les statistiques afin de savoir ce qui a attiré le plus l’attention des citoyens. Cela est grandement facilité par l’utilisation des ordinateurs pour collecter une multitude d’informations sur les choix et le temps passé par les lecteurs lorsqu’ils se retrouvent sur leur site internet. Parmi les sujets qui retiennent beaucoup l’attention du public, on retrouve la criminalité ce qui explique qu’on entend régulièrement des nouvelles qui ont trait à ce sujet. Or, puisque les médias tendent de moins en moins à enquêter et qu’ils sont de plus en plus passifs, ils obtiennent très fréquemment une grande partie de leurs informations sur la criminalité auprès de la police elle-même. On peut constater que ce fut le cas à propos de cette manifestation du 3 avril 2014 lorsque la journaliste questionne le relationniste du SPVM pour avoir davantage d’information sur les conséquences de la manifestation.
Puisque les médias ont besoin de la police pour obtenir de l’information, le rapport de force peut sembler inégal entre ces deux entités. Dépendant de l’information policière pour maximiser leurs cotes d’écoute, les médias peuvent être manipulés par les policiers, car ces derniers ne sont aucunement obligés de divulguer l’information qu’ils possèdent. Ils peuvent contrôler l’accès à des primeurs. Par conséquent, les médias doivent agir avec prudence lorsqu’ils publient des nouvelles qui risquent de ne pas mettre en valeur le service de police. Malgré cette épée de Damoclès qu’il peut sembler y avoir au-dessus de la tête des médias, ils ne se gênent tout de même pas de montrer les bavures policières qui sont toutes aussi «vendeur» que la criminalité. Il suffit de penser à la «matricule 728» pour ne nommer que cet exemple qui est gravé dans la mémoire de la plupart des Québécois. Mais pourquoi les médias ne craignent-ils pas les conséquences d’un agissement semblable à l’égard de la police?
Deux raisons expliquent la publication, sans trop de retenues, de bavures policières dans les médias. La première est que dans la majeure partie des cas qui y sont présentés, comme dans l’exemple de la «matricule 728», les publications ne remettent pas en doute le travail du corps policier, mais plutôt celui d’un policier en particulier : le problème étant l’individu plutôt que le fonctionnement du service policier, cela n’est pas aussi compromettant pour la police. La deuxième raison est que malgré ce que l’on pourrait croire à priori, les médias ont eux aussi un pouvoir qui vient contrebalancer le rapport de force entre ces deux entités. En effet, comme il en a été question précédemment, les policiers ont également besoin des médias pour rejoindre le plus de citoyens, et ce, en peu de temps, car plus le temps s’écoule moins le taux de résolution d’une enquête est élevé. De plus, le fait de rejoindre un grand nombre de personnes simultanément leur permet aussi de mousser leur image de façon plus répandue. C’est pour ces raisons que le relationniste de la police a mentionné en ondes qu’il faisait appel à l’aide des citoyens pour retrouver le vélo de l’individu qui avait été blessé, car cela « démontre » de l’intérêt pour ce dernier. Bref, comme il fut constaté au travers de la couverture médiatique de la manifestation du 3 avril 2014, les policiers et les médias entretiennent une relation de besoin mutuelle qui apporte certains désagréments pour chacune des entités.
[1] Jusqu’au 4 avril 2014, le SPVM utilisait beaucoup Twitter, mais il sera moins actif sur les médias sociaux le temps de la création d’un nouveau site internet. Il restera tout de même actif pour les opérations majeures.