Le pari brésilien
Le 5 avril dernier, le New York Times publiait un article qui invoquait l’envoi de forces militaires à l’intérieur des quartiers défavorisés du Brésil et ce, dans le but de venir en aide aux forces de police actuellement en place. En effet, il est possible de lire que les unités de police présente dans les quartiers défavorisés (connus sous l’appellation latine de « favelas ») de la capitale avaient été implantées afin de « combattre » les trafiquants de drogues dans ces dernières en vue des championnats de la Coupe du monde de Soccer (Rio étant l’hôte de l’évènement). L’auteur de l’article, M. Taylor Barnes, explique que la présence des unités permanentes de police dans les favélas provient du programme de « pacification » de Rio de Janeiro. Ayant vu cependant certains de ses policiers congédiés ou accusés d’abus envers des résidents, le gouvernement fédéral a donc envoyé l’armée suivant une demande d’assistance provenant du gouvernement de l’État de Rio. L’auteur mentionne que cette présence militaire, dans une favéla longeant deux autoroutes qui lient l’aéroport international de Rio et les zones les plus touristiques de cette dernière, rappelle celle de la favéla « Complexo do Alemão » (qui avait durée plus d’un an), en 2010 à la suite de certains évènements violents ayant choqué la ville. On peut lire que certains critiquent la présence militaire en alléguant qu’elle ne vise qu’à impressionner l’électorat, soucieux de sa sécurité, en vue des élections présidentielles prévues pour l’automne prochain. L’article se termine par la mention que, malgré la présence de chars blindés dans les rues de la favéla « Complexo da Maré », ce quartier était plutôt paisible.
L’article de M. Barnes paraît très succinct et ne fournit que très peu de détails sur l’ensemble des mesures en places et sur le contexte motivant ces mêmes mesures. Toutefois, il fait écho à un article publié dans le Monde Diplomatique en janvier 2013 traitant de façon plus élaborée de la situation dans les favélas. Dans ce dernier article, on apprend que l’initiative de pacification, dans son ensemble, des favélas émergea à la fin de l’année 2008. Motivé par la sélection de Rio de Janeiro comme ville hôte des Jeux olympiques de 2016, ce programme de pacification rappelle certaines initiatives policières présentes près de chez nous et également certaines théories formulées concernant la police.
Tout d’abord, la présence même de forces armées venant compléter ou substituer le travail du service déjà en place représente le paroxysme de la militarisation de la police. En effet, de façon générale on reconnaît la militarisation de la police par quatre indices. Premièrement, les services de police ont davantage tendance à utiliser une technologie que l’on reconnaît aux forces armées. À titre d’exemple, on peut penser aux drones comme technologie de surveillance, aux armes à feu automatiques tout équipées ou aux groupes d’intervention tactique. On considère comme deuxième indice de militarisation de la police l’identification « d’ennemis » ou « de menaces » plutôt que de parler de problématiques ou conflit. Comme troisième indice, le texte de Mme Vigna dans le Monde diplomatique fournit un exemple direct. Elle mentionne que la première étape du programme de pacification consiste à envoyer des « polices d’élite » afin de nettoyer les favélas des trafiquants de drogues et/ou gangs criminalisés. Ces bataillons d’opération spéciale (BOPE), rendue célèbre en 2007 par le film Tropa de elite, constituent l’image même de ce que Kraska mentionnait par unités paramilitaires considérées comme des policiers d’élite. Le quatrième et dernier indice relevé par Kraska est l’hypertrophie du concept de danger.
En continuant la lecture de l’article de Anne Vigna, on comprend que, bien que la première étape du programme brésilien comporte son lot de critiques et d’opposants, il est implanté dans l’optique qu’il comprend une seconde phase où une police communautaire y sera campée. Cette police communautaire, nommée Unité de police de pacification (UPP), serait de service une fois les quartiers plus sécuritaires. Cette unité se voudra près de la population, accessible, sans se considérer comme des « rambo » et seront surveillé de près pour éviter tous signes de corruption ou comportement abusif; comme la mentionné le colonel Jose Carvalho, commandant de l’UPP.
J’aimerais conclure en soulevant une interrogation. Supposant que le modèle théorique du programme de pacification des favélas brésiliennes soit motivé par des volontés nobles. Il prend place dans un contexte policier où l’abus et la corruption sont le modus operandi. Il fait depuis sa création face à plusieurs vagues d’échecs et d’opposants. Le gouvernement brésilien aborde-t-il la problématique de violence et de drogue de la meilleure façon possible? Devrait-il plutôt regarder son voisin salvadorien et entreprendre des pourparlers avec les leadeurs de groupes criminels? Comme il a déjà été mentionné sur ce même blogue, devrait-on favoriser une trêve en signant un pacte avec le diable ou plutôt faire le pari risqué d’une implantation musclée d’une police communautaire?