Carton rouge à la police militaire

« Nous n’avons pas de santé, d’écoles, de droits et de transport public. Qu’allons-nous y gagner? La prostitution des enfants, l’aggravation de la dette extérieure et la soumission aux exigences de la FIFA. Pour qui est cette Coupe du Monde? » — Collectif Sans droit, pas de Coupe du Monde.

BNADalLCMAARAkz La Coupe du monde de la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) est l’événement planétaire par excellence pour tous les amateurs de football. La compétition internationale se déroule habituellement tous les quatre ans depuis 1930. La FIFA désigne le pays qui sera organisateur de la Coupe du monde. Toutes les nations pourront postuler pour l’accueillir, mais la fédération doit juger de leur capacité à organiser un événement d’une si grande envergure. De plus, les valeurs que la Coupe du monde véhicule sont la paix et l’universalité. Malheureusement, c’est une toute autre image que l’on cache dans la ville d’accueil.

C’est au Brésil, à l’été 2014, que se tiendra cette festivité mondiale, mais avant ce moment, les rues brésiliennes sont envahies de manifestations et de débordement policiers. Le gouvernement brésilien assure que la venue de la Coupe du monde sera un très bon moyen de stimuler l’économie du pays. Par contre, les investissements nécessaires pour l’événement sont si grands que l’État augmente le coût de la vie aux citoyens, d’où des contestations hebdomadaires à Rio de Janeiro et Sao Paulo.

Pour faire face à ce déferlement populaire, le quotidien Folha de S.Paulo mentionne que 57 000 soldats des forces armées brésiliennes seront sur place pour veiller à la sécurité lors du déroulement de l’événement, soit un investissement de 800 millions de dollars américains.

Ainsi, pendant que le collectif Sans droit pas de Coupe du Monde organise des protestations, ces dernières sont littéralement prises d’assauts par des tactiques employées par la police militaire où les balles de caoutchoucs ont été troquées par une les-ninjas-brésiliens« troupe de gros bras » rebaptisée « troupe ninjas ». En effet, le surnom est bien choisi, car il s’agit de « policiers qui pratiquent les arts martiaux et qui sont censés arrêter les blacks blocs dans les manifestations. En réalité, c’est une opération de communication qui a permis d’expérimenter de nouvelles tactiques de contrôles lors des dernières manifestations » définit Igor Leone, membre du collectif Avogados Ativitastas, un groupe d’avocats brésiliens défendant gratuitement les manifestants qui se font arrêter. En terme de difficulté rencontrée sur le terrain, il est fréquent par exemple que lors de protestations dans les rues, les blacks blocs se mélangent aux plus « pacifiques », une différenciation qui n’est pas tenue en compte par les forces de l’ordre.

En terme de tactique, la stratégie de Kettling est utilisée lors de ces manifestations. Celle-ci procède par la formation d’une ligne de force policière de sorte à restreindre les contestataires dans leur déplacement. Tout individu qui essaiera de sortir du groupe obligera les agents à user de la force physique (généralement par l’entremise des matraques, des boucliers antiémeutes, des bottes d’acier et des poings) à leur égard. La souricière pourra alors durer plusieurs heures. La méthode de Kettling permet d’immobiliser et de contrôler la foule. Une fois que les manifestants seront fatigués ou auront froid, la police les libérera, une personne à la fois, en prenant parfois leur identité (vidéo). Lors de ces évènements au Brésil, on a dénombré 272 arrêtés sur 1000 manifestants. Certains d’entre eux étaient des avocats, des journalistes et des femmes enceintes (TV5monde, 2014).

André Zanardo, également avocat au sein du collectif, met davantage d’emphase sur les actes illégaux des forces de l’ordre : « Ce qui nous préoccupe, c’est que les policiers militaires ont l’obligation de laisser visible leurs numéros de matricules afin d’être identifié s’ils commettent des infractions. Or ils mettent tous du scotch pour cacher leurs matricules, y compris les capitaines, pour se protéger des poursuites. » Lorsque des abus policiers sont commis, le groupe d’avocats tente de les poursuivre, malheureusement sans succès. Un policier militaire ne peut être poursuivi par la justice civile ; cela doit se faire dans une cour composée seulement de policiers militaires. Vous devinerez donc que les sanctions pour punir ces actes sont nulles. À titre d’exemple, le 25 janvier dernier, un agent de police militaire brésilien à moto renverse volontairement un jeune dans la rue et tout a été filmé (ici)… aucune sanction. De plus, certains policiers censurent les blogueurs et les journalistes en les bloquant, de sorte à ne pas pouvoir filmer ou en brisant leur caméra. Vous pouvez en voir un exemple ici .

Au Brésil, les deux corps de police, civile et militaire, peuvent enquêter dans une même affaire. « Certains États du Brésil, le Minas Gerais par exemple, accordent des primes aux hommes qui font preuve d’efficacité. » — Charles Rassaert, journaliste indépendant.

On ne peut conclure cet article en omettant de parler des actes des autorités dans des lieux où il n’y a même pas de manifestations. Le journal El Pais rapporte que les rues brésiliennes des villes choisies par la FIFA seraient nettoyées des sans-abri, en plus de se charger de l’expulsion d’Indiens pour accueillir les milliers de touristes (vidéo). Ce « nettoyage humain » prend place pour lutter contre l’image du Brésil comme pays dangereux. Les grossissements des bidonvilles et des problèmes qui s’en suivent (augmentation du chômage, essor de la criminalité, etc.) est dût à l’attrait des plus grandes villes. Dans ce sens, les zones plus ghettoïsées sont littéralement laissées pour permettre à d’autre municipalité d’avoir l’air de plus en plus riche.

C’est à ce moment où l’on se demande si les festivités de la Coupe du Monde sont bel et bien synonymes de paix et d’universalité lorsqu’on voit des citoyens devenir de plus en plus pauvres et une force militaire de plus en plus agressive.