Offensive policière à Taiwan
Chine
La Chine est un pays d’Asie de l’Est comprenant 1,354 milliards d’habitants, ce qui correspond à près du cinquième de la population mondiale. Deux États affirment disposer de la souveraineté du pays: la République Populaire de Chine (majoritairement communiste) ainsi que la République de Chine, qui contrôle principalement Taiwan. La République de Chine contrôlait anciennement la totalité du territoire chinois, mais leur défaite lors de la guerre civile chinoise vint modifier considérablement leur emprise sur la Chine, qui appartient désormais en majeure partie (99,6%) à la République Populaire. La Chine comprend donc présentement un État et deux systèmes distincts: un système socialiste (République Populaire de Chine) et un système capitaliste (République de Chine).
Taiwan
Taiwan, pour sa part, est une petite île située au sud-ouest de la République Populaire de Chine, au sud du Japon et au nord des Philippines et comptant 23 040 040 habitants pour une superficie de 35 873 km2. Comme mentionnée précédemment, elle fait partie de la République de Chine, qui contrôle également plusieurs petites îles telles que Jinmen, Matsu et Penghu. La République et la République Populaire revendiquent toutes deux le territoire de l’autre, ce qui a engendré de nombreux conflits entre les deux États, et ce, depuis de nombreuses années. Un exemple éloquent de ces tensions est au niveau de la présence sur la scène internationale. En effet, le gouvernement de la République Populaire de Chine a longtemps tenté d’isoler Taiwan de la scène internationale, ce qui rend difficile la coopération et les échanges avec les autres pays. De ce fait, Taiwan n’est actuellement pas représenté à l’ONU, alors que la Chine y siège. Malgré les nombreuses divergences entre les deux territoires, Taiwan gère tout de même ses propres affaires politiques, militaires, économiques et financières en plus d’avoir sa propre armée. Elle possède donc une grande autonomie. Taiwan est actuellement le siège de nombreux conflits entre les citoyens et le gouvernement qui ont fait en sorte de paralyser la vie politique du pays. Ces conflits découlent de l’accord commercial que Taiwan est en train de négocier avec la République Populaire de Chine. Celui-ci stipule que les entreprises taiwanaises devront s’ouvrir aux investisseurs chinois, ce qui ferait de la Chine le principal partenaire économique de l’île. Le président de Taiwan, Ma Ying-Jeou, affirme que cet accord économique est essentiel au bon fonctionnement et à la prospérité du pays. Par contre, la population taïwanaise s’est rapidement indignée contre cet accord, car il risquerait de porter atteinte à Taiwan et le rendrait vulnérable face à la Chine qui, rappelons-le, veut étendre son influence sur ce territoire « rebelle » depuis longtemps. Plus encore, les partis de l’opposition ont aussi accusé le gouvernement taïwanais de conclure l’échange économique dans l’ombre et sans en informer la population, ce qui est à l’encontre des principes du système démocratique taïwanais. Bref, le traité économique avec la République Populaire de Chine ferait en sorte de réduire l’autonomie de l’île, de porter atteinte au système démocratique en n’informant pas la population sur les décisions prises et de remettre en cause la souveraineté de l’État. Ce mouvement de protestation s’est vu attribuer le nom de « Mouvement des tournesols ».
En signe de protestation contre la « vente » de Taiwan à la Chine, des étudiants ont amorcé un mouvement de contestations et de manifestations dans la capitale du pays, Taipei. Des milliers de manifestants se sont rassemblés, le 18 mars dernier, devant le siège du gouvernement. La plupart d’entre eux étaient des intellectuels, des étudiants, des avocats et des artistes qui militaient pacifiquement contre l’accord. Les manifestants sont restés sur place pendant une semaine, ce qui a paralysé la vie politique du pays. Le parti de l’opposition, de son côté, a demandé au gouvernement de bloquer le processus législatif pour ainsi suspendre l’accord économique avec la Chine et de procéder à une rencontre publique avec les manifestants. Le gouvernement a, par contre, refusé d’adhérer à ces requêtes, ce qui a envenimé la situation et déclenché la colère des étudiants. Ces derniers ont alors pénétré de force dans le parlement taïwanais et se sont barricadés à l’intérieur en empilant des tables et des chaises devant les portes et fenêtres. Ils ont également saisi les ordinateurs qui se trouvaient dans les locaux.
Suite à cette mainmise du siège gouvernementale, les forces de l’ordre, qui ne s’étaient pas encore mêlées aux manifestations, sont intervenues en force pour déloger les opposants du bâtiment. Pour ce faire, des centaines de policiers, armés de matraques et de boucliers, ont formé une ligne devant le parlement, alors que l’escouade anti-émeute avait des canons à eau montés sur des camions. Les policiers ont foncé sur les manifestants qui scandaient « s’il vous plaît n’utilisez pas la force contre nous » et les ont frappés avec leurs matraques tout en les aspergeant d’eau. Plusieurs opposants, poussés violemment et blessés par les policiers, ont rapidement quitté les lieux. L’escouade anti-émeute a procédé à 32 arrestations. Les forces de l’ordre ont, par la suite, ordonné aux médias de quitter les lieux. Selon les journalistes et citoyens présents lors de l’assaut, la police à fait usage de force excessive en tabassant les manifestants et près de 140 personnes ont été blessées. Cette démonstration de brutalité policière n’a fait qu’empirer la relation entre les opposants et l’État.
Ces événements rappellent fortement les manifestations qui se sont déroulées au Venezuela il y a quelques semaines. Il s’agissait, là aussi, d’étudiants qui avaient commencé le mouvement de protestation et de nombreux abus policiers avaient été dénoncés durant les interventions policières.
Les opérations policières qui se sont tenues à Taïwan ne sont pas étonnantes, sachant que le maintien de l’ordre est l’une des fonctions principales de tous les corps policiers. La manifestation et la saisie du Parlement par les manifestants étaient des désordres manifestes et entravaient la gestion efficace du gouvernement Taiwanais, puisque la vie politique de l’île était complètement bloquée. Les troubles se divisaient en deux formes. Premièrement, la ville de Taipei fut le siège de désordres de type physique: campement dans les rues devant le parlement, blocage des fenêtres et des portes du bâtiment, etc. Elle fut, en deuxième cas, le siège d’un désordre de type comportemental: attroupements de groupes de manifestants, blocage de la voie publique, etc. Tous ces comportements sont rapidement devenus des désordres publics et la cible du mouvement policier. Le désordre est également fondé en majeure partie sur la visibilité des comportements anormaux. Dans le cas de Taiwan, le mouvement de l’opposition s’est fait connaître à travers le monde, ce qui a engendré une énorme visibilité. La notion d’ordre est aussi fortement associée à la qualité de vie des citoyens (paix, sécurité et esthétique de l’environnement). Cette qualité de vie des citoyens nécessite des espaces publics propres et ordonnés où il n’y a pas d’incivilité. Or, la gigantesque mobilisation des opposants a chamboulé la qualité de vie des résidents en paralysant la vie politique, en bloquant l’accès au Parlement et en envahissant la voie publique. Puisque ces espaces publics étaient un lieu symbolique de l’opposition, ils encourageaient la population à manifester contre l’ordre en place. C’est donc pour contrôler ces désordres manifestes et pour déloger les militants des endroits publics que le président Ma Ying-Jeou a ordonné un déploiement des forces de l’ordre. Dans ce cas-ci, les corps policiers ont joué le rôle d’une haute police, puisqu’ils ont réprimé des formes de désordres qui menaçaient le fonctionnement du gouvernement. La main mise du Parlement par les manifestants était donc un danger pour la stabilité de l’État et les échanges économiques avec la Chine.
Plus encore, le fonctionnement des médias à Taiwan a aussi joué un rôle primordial dans la façon dont l’information a été partagée internationalement. En effet, les médias ont une importance capitale, car ils sont un des principaux véhicules de la culture populaire et la principale source de connaissances de la population. Mais si cette culture populaire est bloquée par l’hégémonie de l’État et le contrôle de l’information, comment peut-elle être transmise? Un exemple éloquent de ce contrôle est le cas de la Chine et de Taiwan. En effet, ces deux États ont de longues traditions concernant la centralisation et le filtrage à l’extrême de toutes les formes de médias. La censure était telle que certains groupes d’activistes politiques ont à maintes reprises tenté d’introduire des stations underground de radio et des chaines de télévision illégales. Il s’agit de la « guérilla »des médias. En 1985, 1.2 million de Taïwanais regardaient clandestinement le poste de télévision clandestin Chanel Four. C’est seulement dans les années 1990 qu’il y eut la création d’un premier poste de télévision démocrate. Ces nouveaux médias ont permis de contrer le monopole de l’information du pays et d’ouvrir de nouvelles sources de connaissances à la population. Cette soudaine décentralisation des médias a également contribué au système démocratique et capitaliste du pays.
Malheureusement, l’opération effectuée par les policiers taïwanais est allée à l’encontre de cette diffusion libre et démocratique de l’information. En effet, lors de l’offensive policière, les forces de l’ordre ont ordonné aux journalistes de quitter les lieux. Il y a ainsi de fortes chances que d’autres abus aient été faits à l’encontre des protestataires et que ceux-ci furent cachés aux journalistes étrangers. Ceci est un parfait exemple de contrôle de l’information: le gouvernement (et la police) ne tenait sans doute pas à ajouter un point négatif de plus à leur dossier, surtout en période de conflits ouverts avec la population. Heureusement, avec l’apparition d’Internet, il est aujourd’hui extrêmement difficile pour l’État de contrôler la totalité de l’information qui circule entre Taiwan et le reste du monde. Le Web est le premier outil offrant un espace d’expression direct à la population. De nombreux manifestants ont ainsi pu prendre des photos et filmer les abus policiers en direct pour ensuite les partager sur les différents réseaux sociaux, comme le démontre la photo ci-bas. Bref, malgré une tentative de contrôle de l’information sur les abus policiers, la population mondiale a quand même pu suivre le fil des conflits opposants l’État et les manifestants.