Quis custodiet ipsos custodes ?

Quis custodiet ipsos custodes? Qui gardera les gardes? Cette citation de Juvénal, auteur romain du Ier siècle après Jésus Christ résume bien une problématique que connaît le Québec du XXIe siècle, soit la nécessité de s’assurer que les policiers et membres des forces de l’ordre n’abusent pas des pouvoirs et prérogatives qui leur sont confiés. Afin de pallier à cette éventualité, notre société s’est dotée de divers moyens de contrôler les actions des policiers afin que leurs interventions ne briment pas les droits des citoyens. Parmi ces initiatives, nous pouvons souligner, entre autres, l’adoption du projet de loi 12 portant sur la création d’un bureau des enquêtes indépendantes. Toutefois, d’autres organes de contrôle existaient antérieurement à l’adoption de cette loi. Afin d’illustrer notre propos, nous analyserons le cas d’un constable du Service de police de Bromont, Monsieur Stéphane Bazinet qui est suspecté de voies de fait contre un citoyen lors d’une arrestation. Après avoir brièvement exposé les faits dans cette affaire, nous démontrerons en quoi le comportement de Monsieur Bazinet, si les faits s’avéraient fondés, peut constituer un exemple de déviance policière. Puis, nous démontrerons un exemple de sous-culture policière en démontrant que Monsieur Bazinet pourrait bénéficier de la solidarité interne du Service de police de Bromont. Enfin,  nous tâcherons d’analyser le rôle de la Direction des normes professionnelles comme organisme de gouvernance responsable d’assurer le respect disciplinaire chez les policiers.

En février 2013, un citoyen de la ville de Bromont, Monsieur Maxime Lacasse, a été arrêté par le constable Stéphane Bazinet. Suite à cette arrestation, le Bromontois a été accusé au criminel sous trois chefs d’accusation, soit « d’avoir proféré des menaces, de voies de fait contre un agent de la paix et d’entrave au travail des policiers. » Un an plus tard, au terme du procès, le citoyen reçoit un verdict d’acquittement par le juge Érick Vanchestein qui soulève la possibilité d’un manquement de la part du policier impliqué dans l’affaire. Ainsi, le 7 mars 2014, Monsieur Lacasse a déposé une requête introductive d’instance à la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir une compensation financière suite à des voies de fait commises par le constable Stéphane Bazinet. Plus précisément, il soutient que le policier l’aurait rudoyé, lui causant par le fait même des blessures aux côtes, aux poignets et à la cheville. Or, si les allégations de Monsieur Lacasse s’avèrent fondées, nous pourrions associer les gestes du constable lors de l’arrestation comme présentant des traits associés au policier de type dur de la typologie de Mastrofski (2002) qui suppose un individu autoritaire et sans habiletés particulières pour la résolution de conflits. Enfin, toujours en supposant que les allégations soient vraies, on peut en venir à la conclusion que les actions de Monsieur Bazinet constituent une forme de déviance telle qu’identifiée par Punch. En fait, en agissant comme on suppose qu’il l’a fait, le constable aurait contrevenu aux règles encadrant sa profession, et notamment à l’article 6 du code de déontologie policière à l’instar du policier Jean-François Rivard, policier de la Ville de Sherbrooke ayant procédé à une arrestation jugée abusive.

En réponse, le directeur de la police de Bromont, Monsieur Jean Bourgeois, a décidé de faire appel à la Direction des normes professionnelles de la Sûreté du Québec afin d’enquêter sur les gestes du constable. La décision de ne pas impliquer la police de Bromont dans cette enquête s’explique par le désir de transparence du corps policier et par souci d’impartialité. Notons que pendant ces procédures, le constable Bazinet demeure en fonction et que la police de Bromont semble le soutenir dans ses prétentions à l’effet qu’il soit innocent. Concrètement, l’attitude de la police de Bromont à l’égard du policier Bazinet attire notre attention, car elle reflète l’idée de Reiner (1985) relativement à la sous-culture policière. Ce dernier prétend qu’il existe une forme de solidarité interne au sein des organisations policières qui se traduit par « un fort sentiment d’appartenance et de différence face à la société en général. » Dans le cas qui nous préoccupe, on constate la présence de la solidarité interne de deux façons. La première est que Monsieur Bazinet occupe toujours ses fonctions de constable au service de la police de Bromont, malgré l’allégation qui pèse contre lui. En d’autres circonstances, cela aurait été suffisant pour justifier une réaffectation ou une suspension. La seconde concerne le fait que l’avocat de la police de Bromont, qui représente le Service de Police et M. Bazinet, soutient que l’arrestation s’est effectuée dans les règles de l’art.

C’est pour ces raisons qu’une enquête est confiée à la Direction des normes professionnelles de la Sûreté du Québec (DNPSQ). Cet organisme (voir p.15 à 17) comptant un personnel de 31 personnes, dont 22 policiers, est responsable d’enquêter sur tout membre de la Sûreté du Québec lorsque celle-ci a des motifs raisonnables de croire que sa conduite dans l’exercice de ses fonctions pourrait poser problème, et ce, tant en matière disciplinaire que criminelle. Elle peut également être amenée à enquêter sur des policiers appartenant à d’autres corps policiers si ceux-ci en font la demande. Cette intervention s’inscrit dans les standards minimaux auxquels peut s’attendre la police, en ce sens qu’elle a une fonction corrective envers les policiers ayant commis une faute. De plus, elle vise à assurer le respect du droit par les agents des corps policiers. Aussi, à partir de ces deux caractéristiques, il est possible de conclure que la DNPSQ est une instance de gouvernance de la police. En ce sens et compte tenu de l’événement dont il est question, le mode de gouvernance qui se distingue est celui de la redevabilité. En effet, la participation de la DNPSQ a débuté uniquement après qu’elle ait été saisie du dossier par le directeur de la police de Bromont. En l’absence des gestes posés par le constable Bazinet, cette organisation n’aurait pas eu matière à intervention auprès de la police de Bromont. Ainsi, ce mode d’intervention est similaire à celui du Commissaire à la déontologie policière, du futur bureau des enquêtes indépendantes ou de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Quant au style de gouvernance de la DNPSQ, c’en est un administratif puisque le processus d’enquête peut entraîner de possibles sanctions, soit le dépôt d’accusations criminelles contre le policier. Par ailleurs, dans un cas similaire de violence policière à Trois-Rivières, des policiers responsables ayant fait usage de la force lors de l’arrestation d’un citoyen ont reçu de telles sanctions administratives, notamment la suspension avec solde, la suspension sans solde, le dépôt d’accusations criminelles par le Directeur des poursuites pénales et criminelles et le congédiement.  Également, ce processus d’enquête est formel dans le sens où la DNPSQ est mandatée pour produire un rapport d’enquête à l’attention du procureur. Également, notons que les membres de la DNPSQ n’ont pas de liens directs avec les agents de la police de Bromont, donc il n’y a pas de collaboration immédiate  et volontaire entre les membres, comme c’est le cas dans le style  rétrospectif. Enfin, il est question d’une forme interne de la gouvernance. Cela s’explique par le fait que la forme interne permet occasionnellement le recours à une instance supérieure. Cette forme a l’avantage que les membres de l’organisation de gouvernance ont une connaissance du corps policier. Dans le cas présent, la police de Bromont, plutôt que de procéder elle-même à l’enquête se réfère à la DNPSQ qui représente une entité supérieure, bien que toujours rattachée à un corps policier. Monsieur Bourgeois, justifiait le recours à la DNPSQ par un souci de transparence. Pourtant, comparativement à des instances comme le Commissaire à la déontologie policière, le futur bureau des enquêtes indépendantes ou  la Commission des plaintes du public contre la GRC, le recours à une institution policière s’avère moins transparent puisqu’elle n’a pas à rendre compte des résultats de son enquête aux citoyens, seulement au ministre de la Sécurité publique et au directeur des poursuites criminelles et pénales tel qu’indiqué au Chapitre 3, section II de la Loi sur la police . En d’autres termes, Monsieur Lacasse, sauf si des accusations criminelles sont déposées à l’encontre du constable Bazinet, n’aura pas de suivi concernant l’enquête de la DNPSQ.

Au final, la DNPSQ s’inscrit comme un organisme interne chargé d’assurer le respect de la loi et de la discipline et de s’assurer que la conduite des policiers est conforme à ce que l’on est en droit de s’attendre d’une personne occupant cette fonction. Toutefois, si l’on reprend la citation de Juvénal ayant servi d’introduction à ce texte, l’on constate que le recours à la DNSPQ a pour conséquence que ce sont les gardes (c’est-à-dire la police) qui doivent s’assurer de la bonne conduite des policiers. Aussi, depuis le début des années 2000, les différents gouvernements du Québec ont mis en place diverses initiatives telles que le commissaire à la déontologie policière ou le bureau des enquêtes indépendantes, qui visent à confier la surveillance des corps policiers à des organismes qui ne relèvent pas de ceux-ci. Malgré tout, si ces organismes ne parviennent pas à collaborer avec les services policiers, la solidarité interne inhérente à ceux-ci pourrait entraîner des difficultés pratiques et nuire à l’application des règles disciplinaires et déontologiques de même qu’au respect des lois et des droits des citoyens. Aussi, pouvons-nous conclure que différents organes internes aux corps policiers continueront à jouer un rôle de surveillance, et ce, malgré les problématiques liées à la transparence de cette pratique.