Opération policière d’envergure au Venezuela
La situation actuelle au Venezuela est très délicate. Depuis le mois de février, le pays est secoué par de nombreuses manifestations qui se sont rapidement transformées en regroupement chaotique. Cette vague de protestation a débuté dans la capitale du pays, Caracas, par un groupe d’étudiants qui protestaient contre la gestion du gouvernement en place, présidé par Nicolas Maduro. Ce dernier avait été élu de justesse après Hugo Chavez (1999-2013), son mentor politique. Malgré les énormes progrès que le pays avait connus sous la présidence de Chavez (diminution du taux annuel de pauvreté, de malnutrition infantile, du taux d’illettrisme et augmentation du taux de scolarisation, du taux d’emploi et du salaire minimum), l’économie en avait gravement souffert. Le Venezuela a donc été touché par une inflation gigantesque (57,3%), créant ainsi une forte pénurie alimentaire. Cette pénurie est devenue alarmante dans les quartiers pauvres. Cette forte augmentation des prix a conséquemment créé une déstabilisation économique et a poussé les étudiants à protester contre l’incompétence des cercles dirigeants du Venezuela. Le conflit s’est envenimé lorsque des autorités locales ont découvert des tonnes de denrées alimentaires (sucre, riz, lait, huile, etc.) cachées dans des entrepôts et soustrait des rayonnages des magasins.
En plus de ce mouvement étudiant, plusieurs partis de l’opposition dénonçaient depuis quelque temps déjà les nombreux abus policiers ainsi que la perte de la souveraineté du Venezuela face à Cuba. Effectivement, l’opposition accusait le gouvernement en place d’avoir créé des échanges commerciaux privilégiés avec Cuba, en plus d’avoir autorisé 300 000 Cubains à résider sur le territoire vénézuélien. Le mouvement d’opposition, dirigé par Henrique Capriles, Daniel Ceballos, Leopoldo Lòpez (ex-maire de Chacao), la députée Maria Corina Machado ainsi que le maire de Caracas, Antonio Ledezma, s’est donc joint au mouvement étudiant et a organisé de nombreuses manifestations et barricades à travers la capitale, plus particulièrement dans le quartier Chacao à l’est de Caracas. Plusieurs citoyens, frustrés par la gigantesque hausse des prix, ont également apporté leur soutien aux nombreuses manifestations. Des groupes de protestataires se sont ainsi déplacés dans la ville pour bloquer différentes rues et avenues à l’aide de barricades. Malheureusement, ce qui se voulait à la base des manifestations pacifiques a vite dégénéré, créant ainsi des conflits quotidiens avec les forces de l’ordre. Au total, au moins 365 blessés et 28 morts, dont une procureure et trois membres de la garde nationale ont été dénombrés.
Après un mois de manifestations et d’escarmouches avec la police, les incidents ont rapidement augmenté en gravité et en longévité pour finalement culminer durant le mois de mars. Pour mettre fin à ces conflits quotidiens, le président Maduro a lancé un ultimatum aux protestataires: ces derniers devaient rapidement mettre fin aux barricades sinon la force publique allait intervenir. Son ultimatum n’aura, par contre, pas duré moins de 48h. En effet, le président du Venezuela autorisa un déploiement des forces de l’ordre pour une opération de « libération » dans les quartiers des militants de l’opposition. Les forces de l’ordre vénézuéliennes sont donc intervenues le lundi 17 mars. Environ 700 gendarmes, un millier d’agents de la brigade antiémeute, 150 motocyclistes et un hélicoptère ont été déployés à Chacao en plus de plusieurs véhicules blindés. Ces derniers ont patrouillé pendant des heures dans les points chauds de la capitale et ont procédé à plusieurs arrestations. Ils n’ont cependant pas indiqué le nombre d’individus arrêtés. Les gendarmes ont pris possession des lieux dans la journée et ont automatiquement procédé au nettoyage des débris encombrants les rues, pendant que des agents de la garde nationale effectuaient des contrôles aléatoires. La brigade antiémeute, de son côté, a dispersé les militants en les aspergeant au canon à eau, en lançant des bombes lacrymogènes dans la foule et en tirant des balles en caoutchouc. L’offensive policière a permis de dénicher et saisir des instruments pour bâtir des barricades, des produits servant à la fabrication de bombes artisanales et de cocktails Molotov, 25 armes à feu, du matériel explosif de type « C4 » ainsi que des centaines de bombes incendiaires. Plusieurs gendarmes et policiers sont également restés sur place pour éviter une reprise des protestations et barricades.
Après avoir délogé les militants et démantelé les barricades des quartiers chauds, le président du Venezuela a ensuite ciblé les dirigeants des partis de l’opposition. Les forces de l’ordre ont donc arrêté le maire de San Cristobal, Daniel Ceballos, qui était un leader de l’opposition, pour rébellion civile. Un second chef de l’opposition et ancien maire de Chacao, Leopoldo Lopez, est actuellement détenu et accusé de complot.
Les opérations policières qui se sont tenues au Venezuela ne sont une surprise pour personne. En effet, le maintien de l’ordre est l’une des fonctions principales de tous les corps policiers. Les nombreuses manifestations politiques et émeutes qui se sont produites à travers le pays étaient des désordres manifestes et entravaient la gestion efficace du gouvernement de Maduro. Les troubles se divisaient en deux formes. Premièrement, la ville de Caracas fut le siège de désordres de type physique: poubelles et voitures incendiées, vitres brisées, rues barricadées, graffitis et débris. Elle fut, en deuxième cas, le siège d’un désordre de type comportemental: attroupements de groupes d’opposition, conduites violentes des manifestants, fabrication de bombes, apparence menaçante des opposants, etc. Toutes ces incivilités sont rapidement devenues des désordres publics et la cible du mouvement policier. Le désordre est également fondé en majeure partie sur la visibilité des comportements anormaux. Dans le cas du Venezuela, le mouvement de l’opposition s’est fait connaître à travers le monde. Les nombreuses manifestations et débordements ont donc eu une énorme visibilité. La notion d’ordre est aussi fortement associée à la qualité de vie des citoyens (paix, sécurité et esthétique de l’environnement). Cette qualité de vie des citoyens nécessite des espaces publics propres et ordonnés où il n’y a pas d’incivilité. Or, les troubles qui se sont produits à travers Chacao ont chamboulé la qualité de vie des résidents en créant un climat de violence et de terreur et en délabrant des espaces publics, et ce, durant le jour et la nuit. Puisque ces espaces publics étaient le lieu de symboles pro-oppositions, ils encourageaient la population à manifester contre l’ordre en place et à commettre certains types de crimes. C’est donc pour contrôler ces désordres manifestes et pour déloger les militants des endroits publics que le président Maduro à ordonné un déploiement des forces de l’ordre pour maîtriser la situation. Dans ce cas-ci, les corps policiers ont joué le rôle d’une haute police, puisqu’ils ont réprimé des formes de désordres qui menaçaient le fonctionnement du gouvernement de Maduro. Les nombreuses manifestations étaient donc un danger pour la stabilité de l’État (après tout, les militants luttaient pour déloger Maduro du pouvoir).
Une deuxième fonction principale des corps policiers est l’application de la loi. L’efficacité de cette fonction se mesure par le nombre d’arrestations. Bien que le gouvernement n’ait pas rendu accessible le nombre total d’arrestations, l’organisation ONG Forum pénal vénézuélienne a estimé que près de 772 personnes avaient été détenues depuis février. Donc, selon la logique de l’efficacité policière, le Venezuela s’est bien chargé de sa fonction d’application de la loi.
Malgré le devoir de la police vénézuélienne de s’occuper du maintien de l’ordre et de l’application de la loi, elle a été accusée à maintes reprises d’avoir surpassé ses droits en violant les droits de l’homme. Comme l’a admis la procureure générale du pays, Luisa Ortega Diaz, plusieurs enquêtes ont été ouvertes concernant la violation des droits des militants et au moins 70 cas de harcèlement, de menaces, de détentions arbitraires ou de vols contre des journalistes locaux et étrangers ont été enregistrés. De son côté, Alfredo Romero a déclaré à la presse que 33 cas de traitements cruels et inhumains ou de tortures avaient eu lieu durant les mois d’affrontements avec les policiers.
Bien que le Venezuela est un pays qui avait longtemps connu de la répression provenant des policiers, une réforme policière majeure avait été entreprise en 2006. Cette réforme, appelée National Commission on Police Reform (CONAREPOL), visait le respect des droits de l’homme comme nouvelle pratique des services policiers. Malheureusement, des abus graves (détention abusive, torture, exécutions, etc.) continuent toujours d’exister, autant dans les forces de police que les forces militaires. La police est maintenant vue comme la cause fondamentale du sentiment d’insécurité de la population vénézuélienne. La répression des militants de cet article en est un bon exemple. Mais est-ce que les nombreux abus policiers sont vraiment une surprise? Lorsque l’on connaît l’histoire peu reluisante de la police, il est relativement facile de répondre à cette question. En effet, le but ancestral de la police était de contrôler les classes ouvrières et de freiner toute tentative de rébellion contre l’ordre établi. Le Venezuela n’est ainsi qu’un exemple de contrôle des classes sociales parmi tant d’autres, comme en démontrent les mesures prises à Québec dernièrement concernant le climat de peur du village de Montréal. De plus, la corruption politique et policière a toujours été présente dans le pays. Le ministre de la Justice a estimé que la police commettait régulièrement des crimes et qu’elle aurait été responsable de la mort de 7,998 individus entre 2000 et 2009. Il s’agit d’une forme grave de corruption typique, car la police ne mène que très rarement des enquêtes dans les cas d’homicides, malgré le haut taux d’homicide du pays (48/100,000 habitants).
Bref, malgré un très grand nombre de policiers (429/100 000 habitants) répartis dans de nombreuses agences de police (23 polices d’État, d’innombrables polices municipales, la Garde Nationale, les corps d’enquête criminelle, etc.), la police reste un problème majeur au Venezuela. Il serait probablement mieux pour la population si une police de type communautaire était mise en place. Ainsi, la communauté et la prévention du crime seraient prises en compte dans les fonctions policières. Je doute par contre que ce type d’organisation policière soit créée sous le régime de Maduro.