Décès de Joleil Campeau, l’enquête résolue 16 ans plus tard?
Il y a 16 ans, Joleil Campeau était retrouvée sans vie dans un ruisseau près de chez elle. Grâce à l’analyse d’ADN et à une technique d’enquête nommée « Mr Big », les policiers ont pu mettre la main sur le présumé meurtrier de Joleil. Le procès de l’accusé, Éric Daudelin, est en cours à Laval.
La jeune fille avait alors 9 ans, elle se rendait chez une amie en passant par un boisé près de chez elle. Suite à sa disparition, les recherches ont débutées. Les policiers ont retrouvé une ceinture appartenant à Joleil. Environ 24 heures après la disparition, Éric Daudelin a été considéré comme personne d’intérêt par les policiers.
En effet, Daudelin, habitait dans le quartier et avait des antécédents d’agressions sexuelles, les policiers l’ont donc considéré comme suspect et ont procédé à son interrogatoire cinq jours plus tard, à ce moment il leur a fourni un échantillon d’ADN. Le même jour, le corps de Joleil a été retrouvé dans un ruisseau. À cette époque, il a été impossible d’avoir la preuve que Daudelin était l’auteur du crime. L’enquête avait tout de même des chances de réussir, car les enquêteurs avaient un suspect. Par contre, le temps a joué contre eux, car on sait que la plupart des enquêtes qui ne sont pas résolues en 24 heures ont peu de chances d’aboutir. Alors, comment a-t-ont résolu cette enquête 16 ans plus tard?
Jusqu’en 2009, il n’y a pas eu de développement au niveau de l’enquête. Une nouvelle analyse d’ADN a permis de relier une cagoule de laine retrouvée en 1995 sur la scène de crime à Éric Daudelin. Lors de son incarcération en 2013, ce dernier aurait mentionné à un codétenu; «La seule gaffe que j’ai faite, c’est que j’ai jeté ma tuque et mes gants près du corps de Joleil Campeau».
Il n’est nullement mentionné dans les faits divers pourquoi en 2009, la preuve d’ADN a pu être établie tandis que cela n’avait pas été possible en 1995. Mais, on peut présumer que l’avancement de la science de l’ADN a permis de relier Daudelin à l’élément de preuve. Le procureur au dossier affirme :«Un peu comme une émission CSI, on a une scène de crime, elle va parler. On a aussi des objets qu’on a saisis, qui vont nous dire des choses». Me Larivière invoque ici un mythe au niveau de l’enquête policière, soit que l’enquêteur fait une utilisation intensive de moyens technologiques à la « CSI ». Comme le travail d’un enquêteur consiste surtout à recueillir des preuves lors d’une enquête, ils devaient, afin de pouvoir accuser Daudelin, obtenir la preuve ultime; les aveux du suspect. Car, c’est la meilleure et la plus courante façon d’obtenir une condamnation pour un crime.
«C’est un scénario carrément hollywoodien», a dit Me Larivière. L’avocat fait référence à technique « Mr Big ». qui a été utilisée afin d’obtenir des aveux de la part d’Éric Daudelin. Cette technique qui serait « proudly canadian », aurait été développée par des enquêteurs de la GRC au courant des années 90. Cette technique consiste à faire croire au suspect qu’il fait partie d’une organisation criminelle par divers scénarios joués par des policiers sous couverture. Au fil des scénarios, il s’agit de mettre le suspect en confiance en lui faisant faire de petits boulots illicites ou non tout en le rémunérant. Ainsi au fil des scénarios, les soi-disant membres de l’organisation criminelle démontrent leur crédibilité en effectuant eux-mêmes des crimes fictifs en compagnie du suspect. Lorsqu’ils considèrent que le suspect croit assez en l’organisation criminelle, souvent, il est alors invité à participer à un gros coup en compagnie de « Mr Big ». À ce moment, les présumés criminels tentent d’obtenir des aveux, par différents stratagèmes, sur les crimes passés commis par le suspect. Alors, le suspect se sent obligé de confesser ses crimes. Bien sûr les policiers enregistrent ces aveux. Alors, ils ont maintenant la preuve ultime qui permettra d’incriminer le suspect. Dans le cas d’Éric Daudelin, les faux criminels et particulièrement « Mr Big » ont prétendu pouvoir aider Daudelin suite à la réouverture de l’enquête de Joleil Campeau. Les recueillis sont ceux-ci : « Il est descendu de voiture après avoir vu «la petite fille». Il l’a attrapée, l’a jetée par terre. Elle ne pleurait pas, elle cherchait ses lunettes. Elle était comme en convulsions. Il l’a traînée plus loin, l’a déshabillée, s’est masturbé sur elle. Il l’a aidée à se rhabiller. Il a entendu du bruit, a paniqué, a enfoncé la petite dans l’eau vaseuse. «J’ai pesé dessus puis j’ai mis la roche. J’ai attendu que ça arrête de bouger, puis je suis parti.» Difficile d’obtenir une preuve plus solide!
Il est important de se demander si la technique « Mr Big » est légitime. Est-ce que la fin justifie les moyens? Cette technique mobilise beaucoup de ressources, tant en capital humain que financier. Pendant ce temps, les enquêteurs ne peuvent pas travailler sur d’autres dossiers. Comme l’unité de mesure de l’efficacité des corps policiers est le taux de résolution de crimes, ne serait-il pas plus payant en terme d’efficacité d’investir les ressources ailleurs afin de résoudre plus d’enquêtes? Cette technique est en effet très controversée, mais cela dépend de quel côté on se situe : « Pour moi, l’opération Mister Big n’est qu’une variante des opérations de filature. Une variante qui fonctionne particulièrement bien avec les affaires de meurtres non résolues», explique l’inspecteur Allan Haslett, qui dirige ou participe à des opérations d’infiltration depuis 36 ans. », « M. Haslett insiste pour dire que sa méthode d’enquête est très étroitement contrôlée et que les agents qui y participent sont soumis à des règles strictes. «C’est comme ça pour toutes les opérations d’infiltration, il y a beaucoup de contrôle. Nous ne pouvons faire les choses à moitié, car tout ça est scruté à la loupe par les tribunaux», poursuit-il. »
. Selon M Aslett, il est important de s’assurer que la technique respecte la procédure criminelle afin d’obtenir condamnation. Cependant cette technique est-elle parfaite? Une journaliste canadienne, Tiffany Burns, a réalisé un documentaire intitulé « Mr. Big: A Documentary ». Elle a réalisé ce film après que son frère Sebastian Burns et son ami Atif Rafay ait été condamné pour un meurtre qu’ils n’auraient pas commis après avoir avoué le crime dans le cadre d’une opération « Mr big ». Cependant, son frère et son ami ne seraient pas coupables, ils auraient fait de faux aveux. Elle a donc investigué le sujet en étudiant plusieurs condamnations obtenues grâce à « Mr Big » et selon elle, la technique peut souvent mener à de faux aveux.
En effet, est-ce que le fait de vouloir prouver à une simili organisation criminelle qu’ils sont de vrais durs et qu’ils peuvent faire le travail au sein d’une telle organisation, certaines personnes peuvent-elles s’inventer une carrière criminelle? Je crois que c’est possible. Il serait essentiel de faire une étude approfondie sur le sujet afin de préserver l’intégrité de la justice et protéger les droits des citoyens canadiens. Bien sûr cette technique a été utilisée dans plusieurs autres pays, mais certains, comme les États-Unis, ne la considèrent pas comme valide. Selon moi, l’efficacité de la technique « Mr Big » a été éprouvée au fil des années quant à la résolution d’enquêtes. Par contre, doit-on emprisonner 10 innocents pour emprisonner 50 coupables? Ces innocents sont-ils des dommages collatéraux à négliger? Un examen de conscience s’impose selon moi, la question cruciale est : « la fin justifie-t-elle les moyens? »