Le renseignement en temps réel : bientôt au Canada

En mai prochain, un centre de fusion (soit un centre de renseignement en temps réel) verra le jour au Canada, plus précisément dans la région de Vancouver. Il s’agit d’un centre inspiré des centres de fusion des États-Unis ayant pour but de répondre à un large éventail de crimes sérieux menaçant la sécurité du grand public, en allant des vols armés au terrorisme. La différence se rapportant à ces centres se situe principalement sur le plan de la vitesse de la réponse et de la communication des renseignements. Il convient de souligner que ce type de centres a vu le jour aux États-Unis en réaction aux attaques du 11 septembre pour augmenter la coordination entre les organismes par l’entremise d’une meilleure communication de l’information disponible.

Au Canada, le centre qui sera mis en place en mai prochain sera éventuellement doté de 43 employés et sera en fonction 24 heures par jour. Il s’agit de la dernière tendance en matière d’intégration des ressources liées au policing et de la communication d’information entre les différentes juridictions grâce, entre autres, à de nombreux partenaires.

CommandCenter02

En effet, grâce aux bases de données multiples disponibles, l’identification et la localisation du contrevenant serait plus rapide en raison du soutien analytique immédiat disponible. Cependant, le simple citoyen se retrouve ainsi avec le fardeau de prouver qu’il n’est pas un criminel puisque les informations recueillies pourraient sembler indiquer le contraire. Il s’agit en effet d’une approche différente du SCRS, lequel joue un rôle proactif en matière d’échange de renseignements et d’informations tout en gardant un équilibre entre les droits des personnes sous enquête et l’indiscrétion causée par l’enquête réalisée.

Selon différents articles, les analystes qui travailleront dans ce nouveau centre auront accès à beaucoup plus de données, ce qui leur permettra d’être plus efficaces. Toutefois, malgré le fait que l’information se retrouve effectivement dans la banque de données, il existe une certaine confusion quant à la direction que doit prendre cet échange.

Dans le résumé du texte rédigé par Taylor et Russell, il est indiqué que malgré les bonnes intentions derrière ces centres, il existe peu de preuve démontrant le succès de ceux-ci. En fait, la structure et la mission des organisations responsables de l’application de la loi nuisent en quelque sorte au fonctionnement de ces centres en raison de leur façon de procéder entachée d’une part d’un certain égo et d’autre part d’une quête d’autonomie, ce qui va à l’encontre de la communication de toutes les informations disponibles. De plus, les stratégies, les techniques et les rôles préconisés par les centres de renseignement en temps réel se rapprochent à la fois des activités militaires et fédérales en termes d’application de la loi et l’accent est principalement mis sur le terrorisme, soit souvent des menaces imprévisibles et sans frontière.

Cependant, l’objectif de veiller davantage à la sécurité du grand public se rapproche davantage d’une approche de policing de prédiction, ce qui permettrait au centre d’avoir une démarche proactive. Toutefois, malgré la présence de tels centres actifs aux États-Unis, l’efficacité de ceux-ci reste douteuse sur ce plan. Notamment, il ne leur a pas été possible de prévoir ou d’empêcher l’explosion de la bombe lors du marathon de Boston.

Explosion at Boston marathon

D’ailleurs, selon un rapport d’un comité du sénat américain, malgré la valeur des services offerts, il a été démontré que ceux-ci étaient plutôt inefficaces et coûteux, tout en empiétant sur les libertés civiles des citoyens américains, ce qui a engendré une part du problème lié à l’effet « Big Brother ». En effet, de nombreux gadgets de surveillance très poussés sont fournis aux travailleurs de ces centres, mais ceux-ci ont peu de lien avec la mission analytique mise de l’avant. De plus, la qualité des rapports de renseignement peut très bien être mise en doute même si l’information est coordonnée à l’échelle régionale.

En fait, les avancées technologiques permettent maintenant d’être en activité 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Selon le rapport présenté par la police de Vancouver, on parle des 48 premières heures critiques de l’enquête… alors qu’on sait très bien que 48 heures, dans le contexte d’une enquête, c’est extrêmement long. Il convient de souligner également que dans ce rapport, lequel approuve la création d’un tel centre au Canada, il a été omis de mentionner que l’efficacité de cette approche n’avait pas été prouvée.

Bref, un centre de renseignement en temps réel semble sur papier être une très bonne idée, pour accélérer le traitement des informations et la diffusion de celles-ci, mais principalement en réaction à un gros événement, soit après que celui-ci ne se soit produit, en offrant un soutien aux agents de première ligne. Il est question d’une plus grande surveillance, d’une certaine sensibilisation… ce que j’en comprends, c’est une plus grande stimulation de sentiment de peur pour que la mise en place de telles approches soit bien acceptée par la population, malgré les coûts. Ce centre ne sera pas un lieu de policing de prédiction (predictive policing), qui permettrait d’empêcher entre autres le terrorisme de se produire. Et même dans le cas du policing de prédiction, c’est plus une prédiction d’un deuxième crime suivant un premier, et on s’attarde à un point chaud prédit se trouvant dans les 500 pieds carrés du premier crime commis, ce qui reste logique sans, selon moi, demander la réalisation d’un algorithme complexe puisqu’il s’agit de la simple application du triangle « domicile-travail-loisir ».

Ainsi, je me questionne vraiment sur l’utilité de la mise en place d’un centre de renseignement en temps réel au Canada et sur l’efficacité de cette approche dans l’augmentation du sentiment de sécurité et la diminution de la criminalité. Peut-être aussi que je sous-estime le poids de la menace terroriste à l’encontre du Canada, mais il me semble que je préfère ma liberté à la surveillance proposée par ce genre de démarche.