La place des femmes dans la police, parallèle avec les policières mexicaines

Récemment, un article intitulé « jouer à l’homme dans la police », paru dans la Gazette des femmes, faisait état du prix que certaines policières mexicaines devaient être prêtes à payer, en raison des nombreux « sacrifices » auxquels elles devaient se plier pour gagner le respect de leurs homologues masculins. Contraintes à modifier différents aspects de leur personnalité et à renier leur identité féminine, certaines d’entre elles n’ont d’autre choix que de se prêter au jeu si elles souhaitent monter en grade ou simplement se prémunir des formes courantes d’intimidation ou de harcèlement en milieu de travail. Pour ces dernières, l’adoption de comportements agressifs, machistes et misogynes se présente donc comme des moyens de protection efficace.
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D’ailleurs, l’auteure, Delphine Rigaud, rapporte dans son article les résultats d’une étude d’envergure dirigée par la sociologue Olivia Tena Guerrero, résultats qui ont révélé que «  les policières mexicaines doivent s’adapter à une institution sexiste qui exige qu’elles se comportent selon des codes qui relèvent d’une vision hégémonique de la masculinité, ou qu’elles tombent dans l’extrême inverse en choisissant une posture féminine exagérée dans le but d’obtenir la protection de leurs collègues masculins. » Puisqu’il apparaît évident que les policières seront largement rabrouées par leurs collègues, peu importe le choix qu’elles feront, il semble que la voie du salut se présente pour la plupart d’entre elles comme la décision de s’endurcir et d’agir en homme. Pourtant, assumer une identité artificielle, jour après jour, peut devenir un véritable défi, voire même un fardeau pour ces femmes.

En vue de bien comprendre les enjeux liés à la situation des policières mexicaines, il est essentiel de se mettre en contexte. Tout d’abord, nous savons que la définition de l’identité ou de genre sont des constructions sociales propres au groupe culturel auquel nous appartenons. Pour sa part, la sociologue australienne Raewyn Connell suggère que la culture mexicaine a historiquement associé l’homme ou la masculinité à la violence et que les institutions policières se sont présentées comme des espaces légitimes de libération de ce surplus de testostérone. Ce culte voué à la masculinité est considéré comme prestigieux et faisant partie intégrante de la structure de l’organisation prônant la répression et la coercition. Les femmes désirant s’y intégrer doivent donc faire preuve des mêmes habiletés que leurs collègues masculins et vont parfois jusqu’à exagérer les schémas qu’elles ont copiés afin de gagner de la valeur, du respect à leurs yeux. Malheureusement, les témoignages recueillis par l’auteure ont permis d’avancer le fait que les femmes pourraient avoir tendance à recourir plus promptement à la force ou à la brutalité pour se faire respecter. Bien que ces allégations ne soient corroborées par aucune base de données, il est assez facile de s’imaginer les prouesses que certaines femmes seraient prêtes à accomplir en vue de se mériter le respect de leurs pairs. D’ailleurs, dans le but d’enrayer cette compétitivité entre les genres qui poussaient à des excès, des unités uniquement composées de femmes, « Las Dianas » avaient été implantées au Mexique. Ces dernières avaient pour mission de sécuriser le centre historique de la ville et ce fût, pour celles qui y ont participé, une expérience très enrichissante. Le but de cette « escouade » était de comparer et comprendre le style de « policing » féministe qu’adopteraient les femmes.  Toutefois, après un an d’activités, la dissolution du groupe fut prononcée par le nouveau chef de police et les agentes furent réparties dans d’autres unités.

Plus près de chez nous, si nous revenons aux modes de comportements que peuvent être poussés à adopter les femmes, il est difficile de ne pas penser aux écarts de conduite de l’agente Stéphanie Trudeau. Bien que revêtant un caractère exceptionnel et pris dans un tout autre contexte, ces agissements peuvent nous laisser croire que ce besoin de prouver sa valeur par l’expression ou l’expiation de sa masculinité existe réellement chez les femmes policières, toutes nations confondues. Au Canada, ce n’est qu’en 1970 que les femmes eurent accès à la pleine fonction policière, car avant cela, les travaux qu’elles pouvaient accomplir étaient limités à des tâches connexes alors que les hommes accomplissaient les fonctions directes de contrôle social et de répression, due à une division sexuelle des travaux. Un peu plus de trente ans après l’arrivée officielle des femmes dans la police, on peut se questionner sur les raisons sociales qui rendent l’intégration  des femmes si difficile. À ce sujet, Line Beauchesne offre différentes pistes de réponses dans son article « Les recherches en Amérique du Nord sur l’entrée des femmes dans la police : difficulté d’intégration dans une culture organisationnelle masculine », disponible sur internet. Même si l’accessibilité des femmes à des métiers traditionnellement masculins est devenue plus grande, leur intégration dans les milieux de travail était loin d’être gagné! En fait, selon elle, trois grandes barrières allaient se dresser sur leur chemin : les rapports sexistes entre les individus, les barrières organisationnelles et finalement, la culture organisationnelle masculine. S’il est clair pour elle que les femmes allaient devoir faire preuve d’ingéniosité pour développer des stratégies de survie dans ce monde d’hommes, elles auraient par la suite à affronter toute une structure doublé d’une culture organisationnelle basée sur le genre.

Le plus grand enjeu lié à l’intégration des femmes réside en la volonté des hommes de préserver l’identité masculine qui caractérise le travail policier. Ces derniers souhaitent perpétuer la valorisation de la fonction répressive en vue de maintenir la légitimité des structures et conserver les nombreux avantages qu’ils tirent de leurs conditions de travail dangereuses. Les femmes se présentent donc comme une menace de féminisation de l’organisation et d’adoucissement des mœurs qui pourrait faire perdre à l’institution policière son image de « combattant du crime ». Pour Line Beauchesne, « prendre en compte la culture de travail des professions traditionnellement masculines permet de comprendre les enjeux de la résistance à une véritable intégration des femmes dans ces professions; leur présence constitue non seulement une menace aux normes, codes et pratiques de travail, mais également à l’image masculine de cette profession, lieu d’affrontement de la masculinité. » Les femmes trouveront-elles un jour leur juste place, seront-elles reconnues pour leur valeur sans avoir à se montrer agressives? Peut-être que oui, mais pour ce faire, des transformations majeures de la structure en elle-même seront nécessaires.