Les brigades à vélo du SPVM s’exportent en Haïti

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Depuis plus d’un an, la police d’Haïti s’est dotée d’une brigade à vélo qui est une nouvelle unité spécialisée de la Police nationale d’Haïti (PNH) afin de répondre à certaines réalités auxquelles elle fait face. Le Service de police de Montréal (SPVM) y a contribué depuis le début de ce projet en encadrant la formation de ces brigades. Le maire de la ville de Montréal, Denis Coderre, s’est rendu à Port-au-Prince durant la semaine dernière afin de prendre compte de l’état de la phase un du projet qui a débutée en 2013. Il en a aussi profité pour conclure une entente de prolongation de la coopération municipale Canada-Haïti. Ce projet, qui a semblé plaire autant aux citoyens haïtiens qu’au SPVM, vient de prendre davantage d’envergure. En effet, le mardi 18 mars 2014, le nombre d’effectifs a doublé, passant ainsi de 80 à 160 vélos.

Parmi les facteurs ayant contribué à l’accueil favorable qu’a reçu cette mesure, il y a le contexte dans lequel elle a été implantée, soit l’échec de la police traditionnelle. En 2012, l’année précédant la mise en place de ce projet, une étude dit avoir constaté que la criminalité a pris de l’ampleur à Port-au-Prince lors des six premiers mois de l’année, en subissant une augmentation de 25 %. Un exemple de cette montée est le nombre de meurtres qui a atteint un record de 76.2 meurtres par 100 000 habitants[1]. Il est évident qu’une telle situation était propice à une augmentation du sentiment d’insécurité de la part des citoyens et à une diminution réelle de la sécurité au sein de ce pays. Le Réseau national de défense de droits humains (RNDDH) avait même mentionné à ce moment sa crainte à l’égard de la sécurité au sein du pays. Cela a contribué à miner la confiance de la population envers les forces de l’ordre. Cette relation était déjà peu reluisante depuis plusieurs années, comme on le constate dans les propos d’un policier haïtien Auguste Edmond lorsqu’il a mentionné que : « quand [il était] jeune, les policiers regardaient les civils de haut », ce qui n’allait certainement pas s’améliorer avec ce contexte. Cela explique donc en partie l’accueil favorable qu’a reçu ce projet.

Il est certain que l’inefficacité de la police traditionnelle n’est pas la seule raison ayant contribué au changement de direction prise par la police haïtienne. En effet, le contexte politique dans lequel Haïti se retrouvait au moment de l’instauration de ce projet (2013), ainsi que le tremblement de terre de 2010 qui a mis le pays en situation de crise a aussi augmenté le besoin de ce changement de cap. Par contre, plusieurs aspects qui ont mené à cette nouvelle manière de faire de la police étaient déjà en place bien avant ces deux éléments qui ont agi à titre de goutte d’eau qui fait déborder le vase. À cet égard, on constate que la montée de la police communautaire en Haïti arrive dans des circonstances similaires à celles qui étaient présentes au Québec lors de l’implantation du modèle de police communautaire : augmentation de la criminalité, diminution du sentiment de sécurité et perte de confiance de la population envers la police qui fut amplifié par l’aliénation des policiers. Dans un tel climat, un changement majeur d’attitude de la part des policiers était nécessaire pour permettre d’arrêter l’hémorragie que représente cette fulgurante augmentation de la criminalité. Pour y parvenir, les dirigeants de la police haïtienne ont décidé qu’il fallait modifier la perception des citoyens afin d’établir un partenariat police-population, ce qui est le leitmotiv de la police communautaire. Or, la patrouille en vélo est un bon moyen à utiliser pour tisser des liens entre les citoyens et la police, si on la compare à la traditionnelle patrouille en véhicule. Cette dernière nuit à l’accessibilité aux policiers en les distançant des citoyens et elle empêche l’accès à certains endroits inaccessibles en automobile. De plus, comme Kelling l’a constaté dans son étude sur l’efficacité des patrouilles en véhicule, le nombre de patrouille en véhicule n’a pas d’impact direct sur le taux de criminalité et sur le sentiment de sécurité. Étant donné que ces derniers points sont des aspects sur lesquels la police d’Haïti se devait de travailler, il était préférable d’opter pour une solution plus appropriée, telle la patrouille à vélo qui est plus adéquate à cette situation.

Étant donné ces caractéristiques, la police à vélo fut rapidement acceptée par la population, si l’on se fie au témoignage d’un policier haïtien. Cela revêt une importance capitale puisque l’implication de la population sera facilitée. Or, lorsque l’on choisit de tendre vers le modèle de police communautaire, la participation de la population est nécessaire. En effet, puisque ce style de police affirme qu’il y aura toujours une portion de crime qui sera irréductible, il prône la nécessité de responsabiliser les citoyens afin qu’ils réduisent individuellement leur risque d’être victimisé. Cela est important pour la police dite communautaire puisque la prévention est l’un de ses fondements et qu’il sera plus facile de le mettre en pratique grâce à l’acceptation des citoyens à l’égard de ce projet.

Il est important de mentionner que l’exportation d’une mesure n’est pas garant de succès dans le nouvel endroit où elle est implantée, et ce, même si elle a été efficace dans l’endroit initial. En effet, si l’on déplace géographiquement une mesure, elle peut devenir inefficace, voire même nuisible, étant donné que le contexte risque d’être différent. Cependant, si l’on se fie aux échos de l’implantation de cette mesure comme il fut mentionné précédemment, les ressemblances entre le contexte dans lequel la police communautaire a été implantée au Québec et le contexte actuel haïtien semblent avoir assez de ressemblance pour que l’exportation semble être un succès. Par contre, il faudra attendre que des recherches plus poussées analysent davantage l’impact de ce projet, mais il faut noter que l’efficacité d’une telle mesure est difficile à quantifier autrement qu’en se fiant à la perception de la population.

Pour conclure, il semble que ce changement de cap fait par la police haïtienne soit favorable à l’instauration de liens et d’une proximité entre la police et les citoyens qui soit plus propice à la coopération qu’à la confrontation, ce qui va peut-être changer la situation criminelle du pays qui ne cessait de s’enliser durant les dernières années. Il ne reste qu’à espérer que cela permettre une amélioration du taux de criminalité dans ce pays durant les prochaines années.

 


[1] À titre de comparaison, à ce même moment le taux d’homicide dans la province de Québec était de 1.3 par 100 000 habitants.