Un vent de changement suite à l’affaire Matticks

Dans le monde policier, un vent de changement, tant au niveau éthique que pratique, survient dans les années 1990 au Québec. Par vent de changement, il est question ici de modification dans la façon d’intervenir, de se comporter et du fonctionnement des pratiques policières. Un des évènements majeurs qui engendra ce mouvement de transformation au sein de cette grande institution qui agit comme contrôle formel dans notre société fut l’affaire Matticks. Ce court article résumera l’affaire Matticks pour ensuite préciser les conséquences de cette dernière sur les organisations policières québécoises.

Tout d’abord, pour bien comprendre l’enjeu de ce bouleversement, voici un résumé de l’affaire Matticks. Tout s’amorce le 24 mai 1994 dans le port de Montréal. La Sureté du Québec effectue une très grande opération de saisie de drogue qu’elle nomme Thor. Cette initiative de la Sûreté du Québec permit de saisir un total de 26 tonnes de haschisch. L’opération fut effectuée de concert  entre la Sûreté du Québec (SQ), la Gendarmerie royale canadienne (GRC) et le service de police de la ville de Montréal (SPVM). Toutes ces organisations policières font partie de la basse police puisqu’elles concentrent leurs activités et leurs interventions sur le crime. Au total, des chefs d’accusations furent portés sur sept personnes, dont les frères Gérald et Richard Matticks. Contre toute attente, l’opération tourna mal, personne ne vint réclamer les tonneaux, ce qui rendit la recevabilité de la preuve très mince. En réaction à ce revirement, la police décida d’effectuer une grande opération pour ramasser le plus de preuves possible. Elle avait comme objectif de multiples perquisitions aux différents domiciles et places d’affaires. Grâce à ces nouvelles preuves, il fut possible de relier les frères Matticks au trafic de drogue et ainsi les traîner devant la justice. À l’encontre de toutes attentes, ont découvrait que les documents incriminants avaient été inventés et ajoutés aux documents perquisitionnés. La police avait donc usé de stratégie pour arriver à ses fins. L’utilisation de stratégie fait partie d’une des formes que la déviance policière peut prendre. Elle se définit par l’utilisation de moyens illégaux ou contraire au code de déontologie pour faciliter la tâche des policiers.

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Après ce chambardement, les méthodes d’enquêtes policières furent au centre de la remise en question des organisations policières. Le 15 septembre 1995, le ministre de la Sécurité publique crée le Groupe de travail chargé d’examiner les pratiques en matière d’enquêtes criminelles au sein des différents corps de police du Québec. Suite à cette commission d’enquête, deux rapports sont déposés : l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des accusés et des suspects et les pratiques en matière d’enquêtes criminelles au sein des corps de police du Québec. Ce ne sera pas les seules enquêtes concernant la police dans les années 1990. En effet, l’affaire Matticks mène à plusieurs rapports dont les rapports Corbo sur la déontologie policière (1996) et la formation policière (1997), le dernier fut le rapport Poitras (1998). Tous ces rapports ont une influence sur l’organisation policière. Tout d’abord, des lois sont modifiées dans l’optique des nouvelles recommandations que ces rapports font : Loi modifiant la Loi sur l’organisation policière et la Loi de police en matière de déontologie policière [1997, c.52] est adoptée (grâce au rapport Corbo, 1996), la loi sur la police [2000, c.12] adoptée en 2000 remplace la loi de police et la loi sur l’organisation policière. Cette dernière institutionnalise et réglemente la formation que les divers corps policiers doivent respecter. La même année, la Loi sur l’administration publique [2000, c.8] est adoptée. Elle modifie la gestion de la Sûreté du Québec. Dans le même ordre d’idée, les services de police créent des programmes de formations de niveau universitaire en enquête et en gestion. Les différents rapports ont démontré que l’enjeu du contrôle policier dépasse les institutions policières elles-mêmes, il s’étend au gouvernement, au citoyen et à la communauté. Bien que depuis les années 60, la police s’est isolée du pouvoir politique, le gouvernement a un impact important sur les organisations policières. Le rapport Poitras met en évidence cette influence pour assurer les besoins des organisations pour effectuer la transition. Pour ce qui est des citoyens, ils se sont rassemblés pour exprimer leur mécontentement relativement aux activités de la police qu’ils ont jugées inadéquates. La police et le gouvernement en réaction à ce scandale qui pourrait s’enchaîner en crise sociale tentent de redonner confiance au citoyen en l’institution policière qui représente le maintien de l’ordre.

En somme, l’affaire Matticks a engendré tout un enchaînement d’évènements qui a tenté de définir ou de redéfinir le rôle de la police actuelle et par le fait même de savoir où son pouvoir prend fin. Cependant, suite aux nombreux rapports, nous pouvons en conclure que le contrôle sur la police est assez faible puisque cette dernière s’isole de l’appareil politique. Ce mode de gestion de la police comporte un grand danger. Celui de laisser tout le pouvoir dans les mains des organisations policières, à un niveau extrême, cela peut créer un absolutisme policier. Toutes ces tentatives de réformes tentent de répondre à la question « qui police la police? ». Malgré tous ces changements, les citoyens continuent d’avoir une opinion douteuse sur cet agent de contrôle formel. Peut-on dire que ces mesures sont suffisantes pour améliorer l’opinion publique en ce qui concerne l’institution policière au Québec?