Un pacte avec le diable?
Le 2 février dernier se tenait le premier tour de l’élection présidentielle au El Salvador. Puisqu’aucun parti n’a obtenu de majorité claire, le second tour se tiendra le 9 mars prochain.
Pourquoi est-ce d’intérêt dans un blogue traitant de sujets d’actualité gravitant autour du « Policing », me demanderiez-vous. Continuons.
En cette même journée du 2 février, le journal « The Economist » publiait un article portant sur ces élections. Cependant, il s’intéressait, non pas, à l’issue du scrutin, mais davantage aux conséquences que ce dernier aurait sur le taux d’homicide dans ce même pays. En effet, il y était reporté que si le parti de l’Alliance Républicaine Nationale (ARENA) remportait la victoire, un des leadeurs d’un des gangs de rue prédisait que le taux d’homicides quotidien pourrait quadrupler.
Ce lien entre homicides et élections semble d’emblée très flou, mais il s’assombrit à la lecture de l’article et à la prise de conscience des rapports de force en place dans ce pays (ainsi que le Guatemala et le Honduras) pour devenir un lien clair, net et bien noir. En effet, depuis 2012, il semble avoir été mis en place une « trêve » entre les deux plus grands gangs criminalisés du pays (et de plus en plus connus à travers le monde) et le gouvernement afin de garantir une certaine paix dans le pays. À cet effet, un article paru sur le site « In Sight Crime » explique que ce « pacte » garantirait une réduction des violences commises entre les deux gangs rivaux; soit la « Mara Salvatrucha » et « Barrio 18 ». Donc, ces deux rivaux se seraient entendus pour établir des zones de paix dans lesquels le gouvernement s’engagerait à développer des programmes sociaux pour les jeunes et pour améliorer l’employabilité des résidents. Il serait prévu que les gangs cessent leur recrutement auprès de la jeunesse du pays. En contrepartie, le gouvernement aurait transféré certains des hauts dirigeants, de ces deux groupes, de prisons à sécurité maximale vers des prisons à sécurité moyenne. Ces transferts permettant notamment un accès plus facile avec les familles des détenus transférés.
Pour l’impact qu’elle engendre, cette trêve est considérée comme l’évènement le plus marquant des quinze dernières années en matière de sécurité publique depuis la réforme pénale, indique le journal salvadorien « El Faro ». Ce « pacte » fait toutefois volte-face à la politique implantée en 2003 nommée « mano dura » (main de fer) qui, voulant adopter une position ferme face à la lutte contre le crime, ne s’est vu qu’augmenter cette même criminalité
Comme il est mentionné ci-haut, nombreuses sont les conséquences de cette « trêve ». Il est en effet argumenté qu’au niveau politique, ce pacte octroie à la criminalité un pouvoir en l’utilisant comme une monnaie d’échange. En d’autres mots; votez pour tel parti sinon le sang va couler encore plus qu’il ne coule déjà. Au-delà de cette conséquence se cache une autre encore plus subtile et perfide. Le fait seul de prendre entente avec des gangs criminalisés, pourra avoir comme effet que la population perdra confiance envers les institutions du gouvernement; en l’occurrence la police. Devant cette perte de confiance, il est évident que le citoyen ne fera plus appel à la police pour assurer sa sécurité, réduisant conséquemment le renvoi à cette institution. Par conséquent, le chiffre noir de la criminalité (correspondant au nombre de crimes non connu de la police) se verra nécessairement gonfler par ce non-recours possible aux institutions traditionnelles de contrôle social formel.
Cette même conséquence, qu’est la perte de confiance de la population envers la police, rend caduc le rôle premier de la police moderne, soit assurer la sécurité et contrôler les incivilités. La police perdant sa légitimité, les citoyens se tourneraient vers des moyens informels de règlement de leurs conflits.
Bien que la question soit délicate et qu’il est encore tôt pour mesurer l’étendue des conséquences, il apparaît de tout intérêt pour quiconque s’intéresse au « policing » de s’interroger sur cette question. En effet, s’agit-il d’une attitude avant-gardiste adoptée par le gouvernement salvadorien pour lutter contre les homicides primant la valeur d’une vie humaine au détriment de l’image politique reflétée? S’agit-il d’un recul vers une société vicinale, où les différents sont réglés par des règlements de compte musclés entre les clans adverses et où l’on verra apparaître un affaiblissement de la régulation morale tels que l’a connu l’Angleterre à la fin que 18e siècle.