Ukraine: le gouvernement recule d’un pas
L’Ukraine, qui est en crise depuis maintenant plus de 2 mois, a récemment annoncé l’abolition des lois antiémeutes mises en place le 16 janvier afin de réprimander les divers mouvements de manifestations qui ont présentement lieu dans le pays, principalement à Kiev. Plusieurs morts et des centaines de blessés avaient été le résultat des affrontements suivant l’instauration de ces lois.
Mise en contexte
En novembre dernier, de massives protestations ont émergé lorsque le gouvernement a renoncé à l’accord d’association proposé par l’Union européenne (UE). Cet accord visait la mise en place d’un libre-échange entre l’Ukraine et les pays de l’UE, mais fut refusé par le président ukrainien Victor Ianoukovitch, préférant retourner à la table de discussion avec l’Union douanière (comprenant la Biélorussie, le Kazakhstan et, surtout, la Russie). Loin de faire l’unanimité au sein de la population, les manifestations prirent rapidement de l’ampleur, allant même jusqu’à la prise de la mairie de Kiev (capitale nationale). Le 8 décembre, un rassemblement a lieu au même endroit et la masse de manifestants atteint son apogée : près d’un million de personnes (selon les organisateurs) protestent pacifiquement et demandent la démission du président Ianoukovitch.
Après un peu plus d’un mois de manifestations, le 16 janvier, le gouvernement ukrainien met en place des lois d’urgence afin de permettre à ses forces antiémeutes de dissiper et étouffer ces attroupements populaires. Détention, amendes et emprisonnement sont au menu. Entre autres, la sanction pour tous ceux qui occupent les bâtiments officiels monte jusqu’à une peine de 5 ans de prison. La réponse de l’opposition fut catégorique : le 19 janvier, 200 000 personnes se rassemblent à Kiev afin de montrer leur désaccord envers ces nouvelles lois jugées répressives. Prêts à se battre s’il le faut.
Démonstration de force
Dès lors, la tension, déjà très forte, atteint ses plus hauts sommets. D’un côté se trouvent des manifestants indignés et endurcis par près de 2 mois de manifestations et de l’autre côté, une force policière qui n’a pas été reconnue jusque-là pour sa douceur et qui a désormais des lois qui légitiment ses actes. D’un bord comme de l’autre, on a la rage aux dents. Une vraie guerre prend lieu dans les rues de Kiev. Les journaux, les radios et les réseaux sociaux bourdonnent, le reste du monde pâlit devant certains débordements.
Vidéo de l’humiliation d’un manifestant nu par les forces policières
Utilisation de grenades assourdissantes avec une petite touche personnelle : des clous
Les cocktails Molotov utilisés d’un côté comme de l’autre
Autre nouvelle qui aura su accrocher bien des éditoriaux : les manifestants sont la cible de surveillance téléphonique. En effet, le gouvernement aurait utilisé la géolocalisation par l’entremise des tours de compagnies cellulaires afin de mettre sur une liste noire tous ceux et celles qui mettent les pieds sur les lieux des manifestations. C’est à la suite d’un message texte, qui a probablement donné froid dans le dos à plusieurs, que les manifestants ont pu s’en rendre compte. Le message se traduit comme suit : « Cher abonné, vous êtes enregistré comme participant à un trouble massif à l’ordre public. » . Quelques jours passent, la poussière commence à tomber, dévoilant un bilan sinistre sur ces derniers jours de manifestation : 4 morts et plus de 500 blessés. Parmi les blessés, on dénombre 150 policiers.
Le gouvernement recule…-t-il vraiment?
Le 28 janvier, l’État ukrainien abroge finalement les lois qui réprimaient pratiquement la moindre forme de manifestation. La violence des affrontements qu’elles ont provoquée ne donnait pas vraiment le choix au gouvernement d’agir. Bien que cela fasse plaisir aux partis d’opposition, la nouvelle est arrivée avec une deuxième, cette dernière moins réjouissante. En effet, l’amnistie que les manifestants réclamaient depuis un bon moment a finalement été annoncée, mais avec une clause qui ne fait pas l’affaire des manifestants. La ministre ukrainienne de la Justice, Oléna Loukach a annoncé dans un communiqué que l’amnistie « n’entrera en vigueur qu’à condition de la libération de tous les bâtiments publics et des routes ». Les leaders de l’opposition se sont empressés de demander aux manifestants de refuser cette offre, jugée comme tentative de briser leur esprit de solidarité.
Était-ce nécessaire?
À la vue du bilan humain qu’ont engendré les affrontements entre les forces policières et les manifestants, il est intéressant de se demander si la décision du gouvernement n’aurait pas pu être différente, s’il aurait pu aborder le problème d’une autre façon. Il est vrai que de prime abord, au point où les choses étaient rendues, envoyer l’équipe antiémeute faire le ménage semblait probablement logique, voir nécessaire. Dans la majorité des cas où les manifestations prennent trop d’ampleur, on réagit de cette façon, pourquoi faire autrement? Jusqu’à un certain point, je suis d’accord, mais rappelons un détail important : deux des quatre manifestants morts durant les événements ont été abattus par balle. Pourtant, parmi mes recherches, je n’ai vu aucune photo d’un manifestant équipé d’une arme à feu. Pourquoi alors donner à l’équipe antiémeute de telles armes? N’y a-t-il aucune autre alternative? N’est-il pas possible de prendre exemple ailleurs, par exemple sur le modèle policier anglais, reconnu pour sa pacificité? Effectivement, les agents de police d’Angleterre, surnommés ‘’bobbies’’, ne sont aucunement équipés d’armes à feu. Et je ne parle pas seulement des simples policiers, je parle aussi de leurs équipes antiémeutes, la PSU (Police Support Unit). Bouclier, matraque, pistolet à impulsion électrique (taser), casque et protections sur le corps sont les seules pièces d’équipement de cette force. Si nécessaire, ils vêtiront des vêtements à l’épreuve du feu, c’est tout. Au lieu de passer du temps sur les champs de tir, ils sont entraînés à faire face à diverses situations requérant de la force, mais n’auront jamais à utiliser une arme létale. Substituer la force antiémeute ukrainienne par une force semblable à la PSU aurait-il permis de sauver des vies et des blessures? Pour ma part, je suis d’avis que oui. Je ne remets pas entièrement la faute sur les policiers qui ont utilisé leurs armes, je blâme plutôt le gouvernement. En votant les lois du 16 janvier, il devait bien se douter que cela allait déborder. Attribuer aux manifestants le statut de cibles à faire dégager était, selon moi, l’équivalent de peinturer la foule en rouge et de laisser aller un troupeau de taureaux. Il fallait s’attendre à du grabuge. Bref, mes propos ne suggèrent pas qu’il aurait fallu désarmer complètement les forces ukrainiennes, mais au moins de les restreindre à répondre à armes égales. Si les armes ont un effet dissuasif pour certains, leur effet est provocateur pour d’autres.