La sécurité privée dépasse-t-elle les limites ?
31 janvier 2014. M. Lévesque se présente au casino avec son conjoint. Durant la soirée, l’homme est témoin d’une intervention verbale entre des agents de sécurité et une dame « trop contente » d’avoir gagné un montant d’argent à la loterie, et tente de prendre la défense de la dame. Au fil de la discussion, la victime se fait saisir le bras par deux agents de sécurité. L’homme avoue alors avoir fait un geste de recul brusque afin de se dégager de la prise des agents. L’intervention se poursuit par une maîtrise au sol et l’application de menotte, interventions qualifiées de brutales. Malgré les cris et les pleurs de la victime, l’ardeur de l’intervention n’a pas diminué. Envoyé dans une salle privée du casino et relâché par les employés du casino après 40 minutes, un professionnel de la santé a par la suite noté des lésions aux bras, des marques dans le visage et l’homme est toujours en attente des résultats de radiographies soupçonnant des blessures au dos. M. Lévesque informe aujourd’hui qu’il intentera une poursuite, tant au casino qu’aux agents en cause.
Du côté du casino, on souligne que l’intervention s’est déroulée « selon les règles », stipulant que les agents sont intervenus de la manière convenue lorsqu’un client représente une menace. Ils rajoutent pour leur défense que le casino étant bondé, ils ont dû agir avec sérieux et promptitude. Fait étrange, une femme présente sur les lieux a enregistré l’intervention et selon ce qu’a rapporté le Journal de Montréal, l’administration du casino serait entrée en contact avec ladite dame afin de récupérer la vidéo.
L’histoire de monsieur Lévesque n’est pas un cas isolé. En effet, on entend souvent parler de l’abus de force fait par les portiers de bars ou autres lieux privés, communément appelé les « armoires à glace ».
Mais d’abord, la base. La loi sur la sécurité privée stipule à son chapitre un, paragraphe un, que « la présente loi s’applique aux activités de sécurité privée suivantes : 1. Le gardiennage soit la surveillance ou la protection de personnes, de biens ou de lieux principalement à des fins de prévention de la criminalité et de maintien de l’ordre. » (Loi sur la sécurité privée, 2014) Rappelons-nous que « le recours à des agences privées de sécurité permet de combler certaines insuffisances des services de police tout en permettant aux forces de l’ordre de se consacrer à des fonctions prioritaires de répression du crime. » (Rapport du comité sectoriel sur le gardiennage, p.5)
En outre, la loi sur la sécurité privée précise que « l’utilisation d’une force plus grande que celle nécessaire pour accomplir ce qui lui est enjoint ou permis de faire est strictement défendu. » (Rapport du comité sectoriel sur le gardiennage, 2004) Il est important de comprendre que les acteurs de la sécurité privée dans le cadre de leur travail détiennent les mêmes pouvoirs de faire respecter la loi et de protection que les citoyens ordinaires. Ils ne détiennent pas le statut d’agent de la paix. (Comité consultatif sur la sécurité privée au Québec, 2000) Cependant, cette barrière devient de plus en plus floue. Non pas que les policiers ont droit à l’utilisation de la force de manière non encadrée, leur statut d’agent de l’État leur accorde disons-le, plus de droit.
Un endroit privé laisse sous-entendre des réglementations privées. Cependant, tout homme est protégé contre l’abus par la Charte canadienne des droits et libertés. D’abord, l’article 7 de la Charte garantit le droit à la sécurité de chacun. Encore, l’article 12 stipule que chacun a droit « à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. » (Charte canadienne des droits et libertés) Tant les administrations privées que publiques ne peuvent venir à l’encontre des droits fondamentaux prévus depuis 1982.
Certaines questions se posent alors. D’abord, le fait de s’opposer verbalement à un garde de sécurité est-il un motif valable pour en venir à une intervention physique ? Selon l’article 494 du Code criminel, un agent de la paix (comme tout citoyen) a le droit de procéder à une arrestation pour peu qu’elle se trouve en train de commettre un acte criminel. Aucune infraction criminelle n’a été ici commise. De plus, même si cela avait été le cas, l’entrave au travail des acteurs de sécurité privée ne constitue pas une infraction criminelle (contrairement à la police), donc ne justifie pas une intervention. Deuxièmement, l’homme représentait-il un réel danger pour la sécurité des employés ou des consommateurs présents sur place ? Aucune altercation physique n’a été entamée par le présupposé récalcitrant. De plus, l’homme, dans son entrevue avec le Journal de Montréal reconnaît avoir insisté, mais « jamais assez intensément » pour justifier l’intervention physique de deux agents. Finalement, est-ce qu’aucune autre avenue d’intervention n’était possible afin d’atteindre l’objectif de maintien de la paix sur les lieux ? Rappelons-nous que l’utilisation de la force doit venir en dernier recours. En aucun temps elle ne peut être justifiée comme premier choix, sauf lors de situations à haut risque. Cependant, il est indiqué que lors de ce type de situation, la police doit être en première ligne. La situation en vient donc à être plus nébuleuse quant aux droits octroyés tant par l’employeur que par l’État.
Deux grands principes ressortent de ces questionnements, soit celui de la légitimité et celui de la proportionnalité. Une enquête plus approfondie devrait soulever le respect des principes de droits en réponse au niveau de dangerosité de la situation.
Une réglementation en vigueur depuis 2010 oblige les portiers de bars à suivre une formation de 70 heures en sécurité pour pouvoir « gardienner ». (Bureau de la sécurité privée, 2014) Une telle formation enseigne la législation ainsi que les normes des comportements dans le milieu de travail. (Ibid, 2014) Il ne faut pas croire que la faute revient seulement aux agents de sécurité. L’administration, si dans l’erreur est-elle, est aussi fautive en qualifiant l’intervention comme dans les règles.
Bien que dépendant moins de la perception du citoyen, les acteurs de la sécurité privée devraient travailler à établir une relation de confiance avec le public. Il en serait tout à leur honneur, car la peur de la peur du citoyen n’a de nos jours plus de limites. La fréquentation de ces endroits pourrait alors en venir entachée et perdre de l’affluence.
BIBLIOGRAPHIE :
Duval, René & Lauzon, Duval (2014), Une arrestation que faire maintenant ? : Arrestation effectuée par un citoyen ordinaire, Le réseau d’aide juridique du Québec. Consulté en ligne le 2 février 2014 : http://www.avocat.qc.ca/public/iicrim-accuse.htm#resister
Fabian, Jobard (2014) Police et usage de la force, Dictionnaire de Criminologie en ligne. Consulté en ligne le 3 février 2014 : http://criminologie.com/article/police-et-usage-de-la-force
Gouvernement du Canada (1982), Charte canadienne des droits et libertés. Consulté en ligne le 2 février 2014 : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/const/page-15.html
Ministère de la Sécurité publique (2004), Rapport du comité sectoriel sur le gardiennage. Consulté en ligne le 3 février 2014 : http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/police/securite_privee/rapport_secprive.pdf
Ministère de la Sécurité publique, Comité sectoriel sur le gardiennage. Consulté en ligne le 2 février 2014 : http://www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/police/securite_privee/comite_sectoriel_gardiennage.pdf
Wolfshagen, Paul-Alexandre & Leman-Laglois, Stéphane, Sécurité privée et technologie, Police et sécurité privée, École de criminologie de l’Université de Montréal. Consulté en ligne le 3 février 2014 : http://www.crimereg.com/police6226/rapports/securite_prive_et_technologie/intro_conclu.html