Décision rendue par la Cour suprême du Canada en lien avec la prostitution

Au contraire de ce que plusieurs croient, il n’était pas illégal d’échanger de l’argent contre des services sexuels, et ce, avant même la décision qui a été rendue par la Cour suprême le 20 décembre 2013. Cependant, malgré la possibilité de se prostituer légalement, cette pratique était tout de même encadrée rigoureusement par le Code criminel canadien. Parmi ces limites qu’imposait le Code criminel, trois d’entre elles faisaient partie du récent litige. Elles ont toutes été déclarées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada[1] en vertu de l’art. 7 de la Charte canadienne des Droits et Libertés qui stipule que « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

Les premiers articles du Code criminel sur lesquels les juges ont statué furent les par. 197(1) et l’art. 210 qui concernent la tenue d’une maison de débauche ainsi que les endroits où les contacts sexuels pouvaient avoir lieu ou pas. Avec ces articles tels qu’ils étaient, il ne restait pas beaucoup d’autres options aux travailleurs du sexe[2] que d’aller chez le client s’ils voulaient rester dans la légalité. Les juges ont conclu que cela représentait plus de danger pour elles comparativement à l’éventualité où elles amèneraient leurs clients dans un lieu qu’elles connaissent et dans lequel elles pourraient davantage veiller à leur sécurité à l’aide de certaines précautions.

Ils ont également jugé que l’alinéa 212(1)j) empêchait les prostitués de profiter du droit à la sécurité garanti par l’art. 7 de la Charte canadienne des Droits et Libertés. À l’avis des juges, cette infraction causait plus de préjudices aux prostitués que de protection, car elle ne leur permettait pas d’engager quelqu’un qui pourrait veiller à leur sécurité. Cela n’était vraiment pas ce que cet article avait comme objectif lors de son instauration soit de protéger les travailleurs du sexe à l’égard des parasites.

La dernière disposition sur laquelle les juges se sont positionnés concerne l’alinéa 213(1)c) qui rend illégal la sollicitation dans des lieux publics de clients potentiels afin de recevoir ou de se livrer à des services sexuels. Ils sont venus à la conclusion que cela aussi portait atteinte aux droits garantis par la Charte canadienne des Droits et Liberté, car elle forçait les prostitués à solliciter leurs clients dans des endroits isolés. Cela les plaçait dans une situation de vulnérabilité qui ne concorde pas avec l’art. 7 de la Charte. Or, cette infraction faisait en sorte que les travailleurs du sexe ne pouvaient pas vérifier l’état dans lequel le client était (agressif, en état d’ébriété, etc.) avant d’aller dans un endroit à l’abri de témoins ce qui augmentait le risque auquel les prostitués s’exposaient.

Maintenant que nous avons regardé la décision rendue par la Cour suprême, il semble important de mettre sous les projecteurs la division des pouvoirs qui règne au Canada. D’un côté, le gouvernement fédéral s’occupe de l’élaboration et de la modification des lois présentes dans le Code criminel canadien. Ce pouvoir est centralisé puisque les décisions sont prises par une instance pour l’ensemble du grand territoire canadien. En ce qui concerne l’application des lois, c’est le gouvernement provincial qui a ce pouvoir qui est décentralisé, car plusieurs instances se divisent le territoire national. Or, il est évident qu’il y a des divergences entre le législateur responsable de la création et de la modification des lois et certains services de police en particulier surtout que les décisions qui proviennent d’un pouvoir centralisé ne peuvent pas toujours concorder avec l’ensemble des corps policiers, car ils ont des perceptions, des réalités et des préoccupations différentes. Cela fut constaté dans les propos de Marc Parent, le chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lorsqu’il a mentionné publiquement sa « déception » lui qui menait la « guerre » à la prostitution. Il faut noter que cela est un bel exemple de l’aspect paradoxal créé par le contexte canadien   : le gouvernement fédéral semble prendre une tangente qui permettra probablement plus de situations auxquels des services sexuels sont impliqués alors que le SPVM tente de son côté de radier cette pratique sur son territoire.

De plus, il est important de bien comprendre que le rôle de la police au Canada est déterminé par plusieurs acteurs. Il y a le gouvernement qui a son mot à dire puisqu’il attribue les budgets et qu’il modifie les lois, les tribunaux qui décident de ce qui mérite une condamnation ou pas et donc sur ce que les policiers doivent concentrer leur énergie ou pas, les médias qui sont parfois des alliés pour répandre ce que les policiers choisissent de divulguer, mais qui peuvent aussi divulguer les bavures policières, les citoyens qui occupe 90 % du temps des policiers avec leurs appels à la centrale 911 et toutes les autres instances qui ont lien avec le contrôle. Tous ces acteurs ont un impact sur le travail des policiers qui n’ont pas vraiment le choix de composer avec eux ce qui ne leur laisse plus beaucoup de choix.

Bref, malgré tout le pouvoir que l’on attribue aux policiers, il ne faut pas négliger le tiraillement entre une multitude de forces extérieures qui « tirent la couverte » chacune de leur côté. Or, les changements législatifs provenant du Fédéral tel que la modification du Code criminel comme il a été demandé à propos de la prostitution en décembre dernier, n’est qu’un exemple d’une force qui régit le travail policier. Étant donné que le législateur a jusqu’à décembre 2014 pour modifier le Code criminel canadien afin de la rendre compatible avec la Charte des Droits et Libertés, nous ne pouvons pas encore savoir ce qui va ressortir de l’exercice. Est-ce l’abolition complète des infractions concernant la prostitution? Est-ce une augmentation des règles dans le but de mieux protéger les prostitués combinés à une possible augmentation ou diminution du nombre d’échange de services sexuels contre de l’argent? Peu importe la façon dont sera modifié le Code criminel canadien, une chose reste certaine : les corps policiers subiront la force d’une influence extérieure qui va modifier leur rôle à propos de la prostitution.


[1] Il est important de mentionner que la décision de rendre inconstitutionnel est effective seulement un an après qu’elle a été rendue pour permettre au législateur de faire les modifications nécessaires afin que le tout soit constitutionnel

[2] L’emploi du masculin est utilisé pour simplifier la lecture.