Sochi sous haute surveillance
Comme plusieurs d’entre vous le savent déjà, il a été annoncé en octobre 2013 que les Jeux olympiques de Sochi seraient les plus étroitement « surveillés » de l’histoire, tant en raison de la possibilité d’une attaque terroriste que pour différents autres motifs politiques ou enjeux sociaux. Suite à cette déclaration, les préparatifs ont suivi leur cours, tant et si bien qu’il est aujourd’hui attendu que toute communication, téléphonique ou internet, ayant cours sur le territoire, sera d’abord interceptée et filtrée par le puissant module de surveillance Sorm (système de procédures opérationnelles d’enquête), l’un des plus intrusifs et systématiques existant à ce jour.
Administré par le Service fédéral de sécurité [FSB], le système Sorm a été progressivement implanté auprès des distributeurs de services de télécommunications russes et particulièrement ceux des environs de Sochi. Ces derniers se sont vus contraints par la loi de se prémunir du dispositif de surveillance électronique ultramoderne moyennant des frais d’environ 15 000$ pour l’installation et l’ouverture d’une liaison en fibre optique avec le bureau local du FSB. Tel qu’illustré, l’équipement de surveillance se compose principalement d’une boîte installée à même les ordinateurs des fournisseurs d’accès, facilitant ainsi le passage du trafic électronique vers le lieu d’analyse le plus proche.
Visitors “should presume that all their communication devices are completely transparent for Russian security services”.
Ainsi, l’ensemble des mesures prises offrira « une liberté totale d’écoute et d’interception », sans nécessairement exclure la « possibilité d’un filtrage par mots-clés ou par phrases sensibles ». Par exemple, si un mot suspect est capté, il sera possible d’identifier sa provenance et la personne qui l’utilise.
« Selon Edward Snowden, Sorm serait d’ailleurs tellement bien implanté dans les architectures de communication que le système Prism de la NSA ferait pâle figure à ses côtés, inspirant à Ron Deibert, professeur à l’université de Toronto, directeur du Citizen Lab et ayant participé aux recherches sur les Jeux de Sochi, l’expression de « Prism sous stéroïdes » pour définir Sorm. «Les informations fournies par M. Snowden montrent que Prism avait des failles, ce qui ne devrait pas être le cas de Sorm», souligne par ailleurs le professeur Deibert. »
De plus, il est important de considérer les différences législatives de la Russie et des États-Unis en ce qui a trait aux droits des opérateurs et des fournisseurs d’accès internet à partager les données, à la fois subtiles et considérables. Même si dans les deux cas, le mandat légal d’écoute électronique est requis, les agents du FSB ne sont pas tenus d’en présenter la teneur aux distributeurs, qui eux, ne sont pas en mesure de pouvoir exiger de voir quoi que ce soit. Ces derniers doivent donc se plier aux demandes soumises par le FSB, conformément à la loi. Qui plus est, les infrastructures érigées en sol russe permettent depuis un bon moment au FSB de réaliser ses activités de surveillance sans autorisation supplémentaire puisque les informations sensibles transigent déjà par le biais des modules Sorm préalablement installés aux ordinateurs des fournisseurs!
À l’aube de l’ouverture officielle des Jeux olympiques, plusieurs questions se posent pour ceux qui seront sur place concernant la légitimité de cette massive collecte de données. Il semble que le poids d’une éventuelle menace terroriste ne justifie pas l’ampleur des préparatifs liés à la surveillance de tous à l’occasion des Jeux olympiques. La large portée des lois concernant l’accès aux informations de la totalité des courriels, messages textes ou appels passés de Sochi ne manque pas de faire naître la crainte ou du moins l’appréhension chez ceux qui doivent s’y rendre incessamment.
Plusieurs critiquent les dispositions préventives invasives et certains suspectent des intentions cachées tels que le contrôle social des athlètes, des groupes d’activistes ou d’opposition ou encore celui des médias. Même si quelques mesures peuvent être prises en vue de restreindre la collecte de données de masse, tel que le retrait de la batterie du téléphone cellulaire, il est difficile de pouvoir échapper à l’inévitable. Entre sécurité nationale et intimité, il y a un État qui a beaucoup de mal à tracer une frontière acceptable entre les deux.