« Previously in Toronto… »

On croirait presque suivre une série télé : le scénario est mauvais, mais la curiosité et l’avidité de rebondissements du spectateur nourrissent l’audience. Les protagonistes, et plus particulièrement Rob Ford, sont à la fois l’objet de fascination, de critiques et de railleries qui ne font qu’agrandir le mythe. Le dernier épisode en date, un des plus rocambolesques, remonte au 20 janvier, le maire de Toronto, Rob Ford, se fait filmer au restaurant Steak Queen situé à Etobicoke en train de maudire le chef de la police de la ville en empruntant un accent jamaïcain. Deux mois auparavant, Rob Ford avait promis qu’il ne prendrait plus une goutte d’alcool et ne consommerait plus de drogue, mais aux vues de la vidéo, il semblerait qu’une certaine promesse soit tombée aux oubliettes… Le maire jette alors des noms d’oiseau sur William Blair, chef de la police, qu’il qualifie de « Bumbaclot », un juron jamaïcain.

La querelle éclate en vérité fin octobre 2013 lorsque (non vous n’avez pas pu passer à côté…) la police de Toronto a révélé qu’elle avait mis la main sur une vidéo montrant le maire en train de fumer du crack (épisode n°3, disponible en streaming). En effet, le 31 octobre 2013, les forces de l’ordre font une annonce plus de cinq mois après que l’existence des images n’ait été révélée par le quotidien Toronto Star.

La loi canadienne sur la cocaïne et donc sur le crack, un dérivé, est claire : c’est une substance inscrite à l’annexe I de La Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Sa possession est passible de sept ans d’emprisonnement. Et ce n’est pas la première fois que Ford est rattrapé par son passé et par la loi. Lors de la dernière campagne municipale, son arrestation en Floride onze ans auparavant pour conduite en état d’ivresse et possession de marijuana avait été évoquée.

Rob Ford doit alors passer aux aveux après un mois de déni (épisode 4), mais refuse toutefois de démissionner. À la suite de cet événement, le conseil municipal tient ainsi  le 18 novembre 2013 une séance extraordinaire et décide de priver le maire de tous ses pouvoirs exécutifs, ce dernier ne se retrouvant qu’avec son titre et une plaque à l’entrée de son bureau, ses pouvoirs étant transférés à son numéro deux, le maire adjoint Norm Kelly. Fait exceptionnel : le gouvernement d’Ontario envisage même d’intervenir dans les affaires de Toronto.

L’animosité entre les deux personnages principaux de notre feuilleton populaire est légendaire mais elle est montée d’un cran avec les révélations du chef de la police. Au plus fort de la crise, alors que Rob Ford n’a pas encore avoué, la situation prend un tournant que l’on qualifierait presque d’humoristique. Ce tournant est engagé par le frère du maire, Doug Ford, qui, le 5 novembre 2013, demande au chef de la police de quitter ses fonctions. Il souhaite qu’une enquête soit menée par le comité de surveillance de la police, car il décrit le chef de cette dernière comme étant impartial, à la fois « juge et jury » de l’affaire.

Mais le combat de coqs ne s’arrête pas là. Dans l’épisode 5, nouveau rebondissement. Après le crack, le maire apparaît sur une vidéo sur You Tube dans laquelle, ivre, il profère des menaces de mort. Le spectateur ne connaît pas la cible visée, mais les propos sont violents. Ford tient un point de presse pour présenter ses excuses de nouveau et Blair répond à cela en se disant « déçu » publiquement. Les accusations et l’appel à la démission envers ce dernier sont alors également repris par l’avocat de Rob Ford qui déplore la condamnation publique du maire de Toronto devant les médias.

La bataille continue lorsque, début décembre 2013, dans une entrevue diffusée à la télévision, le maire accuse son détracteur d’agir pour « des raisons politiques ». Pour le maire, qui parle d’acharnement, tout comme son avocat, Blair aurait lancé son enquête « parce qu’il est mécontent que j’aie demandé des économies [dans son budget] ». Ce dernier, en niant cette idée, a répondu qu’il continuerait à faire son travail.

Et la police dans tout ça ? Son rôle est central. Le scandale aurait pu être étouffé si son chef n’avait pas mis la main sur ladite vidéo. Toutefois, c’est aussi l’image de cette police qui paie aujourd’hui les frais du scandale. Rob Ford n’est en effet pas la seule cible des critiques : des voix torontoises s’élèvent pour dénoncer l’impunité dont jouit le maire contrairement aux autres citoyens pauvres, immigrants ou toxicomanes. Pourtant, le porte-parole de la police, Mark Pugash, assure que les procédures sont suivies correctement et que Ford n’a bénéficié d’aucun traitement de faveur et fait valoir que les preuves sont insuffisantes pour convaincre un tribunal de condamner le maire. Mais des élus et des avocats notamment remettent en question la décision des policiers de ne pas avoir arrêté ce dernier. C’est le cas de l’avocat C. Ruby qui soutient qu’il existe des motifs suffisants pour l’appréhender. La police de Toronto mérite-t-elle donc les accusations de police à deux vitesses ? Y a-t-il une justice pour les riches et une justice pour les pauvres ? Rien n’est moins sûr. Il n’empêche que cette situation place la police et en particulier son chef dans une situation complexe et repose la question de l’indépendance entre le corps policier et le milieu de la politique. En effet, entre affirmation de son indépendance et accusation de laxisme ou de favoritisme, le jeu est à double tranchant pour la police de Toronto et cela encore plus pour Blair. Il est cependant soutenu, entre autre, par le maire adjoint Kelly qui reconnaît que sa position est « peu confortable » mais que c’est « un homme expérimenté et intelligent ».

De nombreux Torontois patientent jusqu’à la prochaine échéance électorale pour se débarrasser du maire. Aurons-nous droit à un nouveau « clash » entre Blair et Ford d’ici là ? La légitimité de l’action des services de la police torontoise sera-t-elle finalement remise en cause dans une nouvelle affaire ? La suite au prochain épisode…